Condamnés à s’entendre, condamnés à la paix, condamnés à se comprendre, condamnés à s’aimer (1)
En rendant responsables les parties selon les obligations respectives du bail qu’elles ont signé, le législateur a voulu les lier quant aux mesures à prendre pour atteindre les objectifs du décret Tertiaire. Que le preneur veuille s’exonérer de toute participation et il ne remplit pas son obligation de participer à la réduction de la consommation d’énergie que son exploitation implique. Mais que le bailleur le contraigne à supporter seul les travaux, il sera enclin à les contester sur le fondement de l’obligation de délivrance, nous dit l’auteure. Les deux, conclut-elle, sont donc condamnés à s’entendre.
Par Me Hanan Chaoui, avocate-associée (Adaltys)
Le Dispositif Eco Efficacité Tertiaire (Deet) dit «décret Tertiaire» n° 2019-771 du 23 juillet 2019, adopté en application de la loi portant Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018, dite Elan, vient jouer les trouble-fêtes dans la relation entre bailleurs et locataires. Le malaise vient de ses implications qui différent des autres types de normes règlementaires. En effet, le législateur, mû par une volonté politique plus affirmée que lors des débats relatifs à la Loi Grenelle II (2) (compte tenu notamment de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015) (3), a véritablement souhaité que les immeubles tertiaires réduisent leurs consommations énergétiques.
Il a donc tiré les enseignements des dispositifs mis en place dans le cadre de la Loi Grenelle II, à savoir notamment l’annexe environnementale prévue par l’article L. 125-9 du Code de l’environnement, dont les objectifs non contraignants, dépourvus de surcroit de sanction, ont conduit à la rendre peu (voire très peu) utile. C’est la raison pour laquelle le décret Tertiaire a un champ d’application plus large que celui de l’annexe environnementale, puisqu’il est applicable tant aux locataires qu’aux propriétaires de locaux tertiaires d’une surface supérieure à 1 000 m². En effet, contrairement à l’annexe environnementale, qui n’avait vocation à ne s’appliquer qu’aux baux commerciaux portant sur des commerces ou des bureaux de plus de 2 000 m², le décret Tertiaire est applicable aux propriétaires de locaux tertiaires, même en l’absence de baux. En outre, l’abaissement du seuil de 2 000 à 1 000 m² est de nature à impliquer de nombreuses moyennes surfaces. Surtout, le décret impose des objectifs de réduction de la consommation énergétique (4) qui s’imposent aux propriétaires et preneurs à bail, «suivant leurs obligations respectives résultant du bail». Se pose dès lors la question de savoir comment seront mises en place les différentes actions permettant d’atteindre les objectifs de réduction de consommation énergétique.
Le décret Tertiaire n’est pas spécifique au statut des baux commerciaux, puisqu’il a vocation à s’appliquer également en présence de baux professionnels ou dans l’hypothèse où les exploitants/occupants sont propriétaires de leurs murs. Pour autant, lorsqu’il s’agira de l’appliquer en matière de baux commerciaux, il conviendra de tenir compte des règles applicables en cette matière (qu’il s’agisse du droit commun de louage découlant des articles 1709 et suivants du Code civil ou du statut des baux commerciaux). Or, les travaux de mise aux normes sont en principe supportés par le bailleur en application de son obligation de délivrance, telle qu’elle est issue de l’article 1719 du Code civil. Par le passé, les législations relatives à l’amiante ou, plus récemment, celles applicables aux établissements recevant du public, dès leur entrée en vigueur, ont été intégrées par les parties dans le cadre des baux à conclure en prévoyant, le cas échéant, un transfert de la charge de ces travaux de mise aux normes au profit du preneur.
En l’espèce, la situation sera plus délicate, à plusieurs titres.
Tout d’abord, le législateur a fait le choix de préciser que propriétaires et bailleurs devaient être considérés comme responsables «suivant leurs obligations respectives résultant du bail» quant aux mesures nécessaires pour atteindre les objectifs édictés par le décret Tertiaire. Ce choix de renvoyer les parties à leurs obligations respectives au titre du bail est de nature à les inciter à discuter voire renégocier ce point.
Ensuite, et surtout, il ressort du décret que les actions pouvant être mises en place afin d’aboutir à une réduction de consommation énergétique doivent porter sur les quatre éléments suivants :
1° La performance énergétique des bâtiments ;
2° L’installation d’équipements performants et de dispositifs de contrôle et de gestion active de ces équipements ;
3° Les modalités d’exploitation des équipements ;
4° L’adaptation des locaux à un usage économe en énergie et le comportement des occupants.
Les deux premiers dépendent de l’immeuble et donc relèvent de l’obligation de délivrance du bailleur. En revanche, les deux derniers dépendent du locataire et des conditions dans lesquelles les locaux sont exploités. Le législateur semble ainsi avoir voulu faire en sorte que chacune des parties se sente personnellement impliquée dans l’application du décret Tertiaire, indépendamment de la répartition des charges et travaux prévue contractuellement.
A cet égard, il n’est pas certain que les sanctions financières encourues (en l’absence de déclaration des consommations énergétiques ou en l’absence de transmission du calendrier de travaux pour atteindre les objectifs) soient de nature à inciter les parties à respecter ce décret. En revanche, le fait pour les entreprises qui ne le respecteront pas d’être inscrites sur un site Internet des services de l’Etat dans le cadre de la méthode du «name&shame» est de nature à avoir plus d’impact sur les acteurs de l’immobilier, à l’aune des obligations Rse de chacun. Toutefois, indépendamment de ce que les acteurs de l’immobilier peuvent penser du réchauffement climatique et de l’Accord de Paris, la nécessité de réduire la consommation énergétique des bâtiments tertiaires afin de faire des économies est une nécessité partagée par tous (même pour les bâtiments d’une surface inférieure à 1 000 m²).
Une dernière difficulté tient au caractère technique des travaux et les mesures nécessaires afin d’aboutir aux réductions de consommation énergétique, ce qui est de nature à rebuter tant les bailleurs et les preneurs et les inciter à déléguer la gestion du décret Tertiaire à des tiers.
D’ailleurs, de nombreuses sociétés se sont positionnées :
– sur le marché de la déclaration des consommations énergétiques auprès d’Operat (dans le cadre de l’assistance des bailleurs et/ou preneurs);
– sur les conseils à donner aux parties afin d’améliorer la performance énergétique des locaux ;
– sur les recommandations des travaux aux fins d’aboutir aux objectifs de réduction de la consommation énergétique.
Pour autant, il serait risqué de penser que le seul fait d’avoir délégué à un tiers la «gestion» des obligations découlant du décret Tertiaire sera suffisant pour atteindre les objectifs fixés en matière de réduction de consommation énergétique. Même s’ils se font assister par des tiers, bailleurs et locataires ont intérêt à :
– rester partie prenante du processus de réduction des consommations énergétiques ;
– l’intégrer dans le cadre de leur processus de gestion des locaux, afin que les objectifs soient atteints.
En effet, le preneur, s’il supporte seul les travaux de mise en conformité dont le montant serait élevé, pourrait être enclin à les contester sur le fondement de l’obligation de délivrance du bailleur, ce qui ouvrirait un nouveau front de contentieux à l’horizon 2030 (date à laquelle le contentieux des loyers Covid-19 et ses incidences aura pris fin …).
De même, le preneur qui ne supporterait pas les travaux de mise en conformité liés à la performance énergétique des locaux, d’après les dispositions de son bail, ne peut pour autant se considérer comme exonéré de toute obligation puisque la réduction de la consommation énergétique dépend des conditions d’exploitation et d’occupation des locaux.
C’est la raison pour laquelle bailleurs et preneurs sont condamnés à s’entendre afin d’éviter d’ouvrir un nouveau front de contentieux sur plusieurs années. Les bailleurs comme les preneurs, s’ils décident d’anticiper ensemble ces questions, seront tous les deux gagnants.
Notes
1. «Condamnés», chanson, Graeme Allwright, Mercury Records, 1979.
2. Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.
3. Traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques, adopté par 196 Parties lors de la Cop 21 à Paris, le 12 décembre 2015 et qui est entré en vigueur le 4 novembre 2016.
4. Le décret Tertiaire prévoit deux options de réduction de la consommation énergétique des édifices tertiaires. Soit une réduction chiffrée par rapport à une année de référence qui ne peut être antérieure à l’année 2010, suivant le calendrier suivant : – 40% en 2030 ; – 50% en 2040 ; – 60% en 2050.
Soit une obligation d’atteindre un niveau de consommation énergétique fixé en valeur absolue pour chaque type d’activité (article L. 111-10-3 du CCH).
