Un arrêt de la Cour de cassation (21-81.179 du 22.02.2022) confirme un arrêt de la cour d’appel de Rennes (2021/161 du 27.01.2021) condamnant Yves Rocher à 150.000 € d’amende, avec publication, pour pratiques commerciales trompeuses. C’est l’occasion de rappeler les principes stricts dans lesquelles ces promotions aujourd’hui superstars doivent être menées. Et de préciser qu’une directive dite Omnibus transposant une directive européenne s’applique en la matière depuis le mois de mai. Traduite par l’article L. 112-1-1 du Code de la consommation, elle définit le prix de référence comme le plus bas pratiqué sur les 30 derniers jours… Sans comptabiliser les clients porteurs de cartes de fidélité !
Par Me Jean-Louis Fourgoux, avocat-associé (Mermoz Avocats)
La chambre criminelle de la Cour de cassation a donné une interprétation de la notion de «prix de référence» sous l’empire de l’arrêté du 11 mai 2015. C’est le prix majoritairement pratiqué lors de la commercialisation du produit ou le prix pratiqué de manière régulière. Cette interprétation doit être rapprochée de la directive «Omnibus» et de sa transposition européenne visant à encadrer les annonces de rabais.
I. L’arrêté de 2015 : l’absence d’une définition claire du prix de référence
Initialement, au sens de l’arrêté du 31 décembre 2008, le prix de référence était celui qui «ne peut excéder le prix le plus bas effectivement pratiqué par l’annonceur pour un article ou une prestation similaire, dans le même établissement de vente au détail ou site de vente à distance, au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité». Cette limitation française du prix de référence a été jugée contraire à la directive 2005/29/CE (Cjue, 8 septembre 2015, C-13/15, Cdiscount). L’arrêté du 11 mars 2015, a assoupli cette contrainte pour exiger que celui-ci soit «déterminé par l’annonceur et à partir duquel la réduction de prix est annoncée». Cette large définition du prix de référence pouvait donc être librement déterminée par l’annonceur sous réserve de ne pas induire en erreur le consommateur, il pouvait par exemple s’agir du prix de vente conseillé par un fabricant (1).
L’arrêté de 2015 pose cependant une seule condition : celle de pouvoir justifier le prix de référence, soit de sa réalité et de sa loyauté. Il revient donc aux entreprises de prouver que leur prix de référence n’était pas fictif (ou non-pratiqué) ou non-représentatif. C’est dans un arrêt du 22 février 2022 (2) que la chambre criminelle de la Cour de cassation a donné une grille d’analyse pour apprécier la réalité du prix de référence.
II. L’arrêt du 22 février 2022 : l’appréciation de la réalité du prix de référence
Dans cet arrêt de rejet venant confirmer l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes (3), il s’agissait d’une entreprise qui fabriquait et distribuait des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle. Lors d’un contrôle s’étalant du 29 octobre 2012 au 14 avril 2013, il a été relevé neuf opérations commerciales de plus de cinq semaines chacune. Au total, il a été retenu que «la prévenue a affiché un prix de référence fictif, c’est-à-dire non pratiqué, pour 54 produits, ou non représentatif, c’est-à-dire très peu pratiqué, voire très occasionnel, voir encore exceptionnel, pour 238 produits et qu’elle a donc fait usage d’allégations fausses ou présentées de façon trompeuse, engendrant une comparaison de prix artificielle pour le consommateur».
Pour apprécier si les pratiques étaient effectivement trompeuses, la Cour de cassation a recherché si le prix de référence avait été effectivement et majoritairement pratiqué et si la réduction de prix n’était pas permanente Ainsi, la Cour a pu relever que, dans le cas d’espèce, «36 % des produits contrôlés avaient été commercialisés à leur prix de référence sur Internet et par correspondance plus de 50 % du temps, et que 80 % d’entre eux l’avaient été plus de 40 % du temps, était dénué de toute efficience». Dès lors, la Cour en a déduit que «le prix annoncé comme réduit était le prix majoritairement pratiqué».
La Cour de cassation a jugé que «le prix de référence des produits contrôlés, tous canaux confondus, aurait été le prix régulier ou majoritairement pratiqué». Il semble donc que l’on doit entendre le prix majoritairement pratiqué comme le prix qui a été pratiqué de façon régulière ou le prix qui a été proposé aux consommateurs plus de 50 % du temps durant sa commercialisation. De plus, elle a retenu que près de 97,1 % des ventes en magasin avaient été réalisées par des consommateurs titulaires de la carte de fidélité, ce qui faisait que le prix de référence ne revêtait «qu’un caractère exceptionnel».
La Cour de cassation a ainsi conclu que la cour d’appel avait exactement retenu qu’il s’agissait de pratiques commerciales trompeuses et a jugé qu’il n’avait pas été établi par l’entreprise que le prix de référence des produits contrôlés étaient les prix réguliers ou majoritairement pratiqués. Dès lors, le prix de référence semble être le prix pratiqué de manière régulière par le professionnel ou encore celui qui a été majoritairement pratiqué avant l’annonce de la réduction du prix (plus de 50 % des jours où le produit a été proposé à la vente).
III. La directive Omnibus et sa transposition : le retour à une définition étroite du prix de référence
Cette solution n’est cependant plus applicable pour les réductions de prix postérieures au 22 mai 2022. En effet, par la directive dite «Omnibus» (4) et son ordonnance de transposition (5) , le nouvel article L. 112-1-1 du Code de la consommation, dispose désormais que le prix de référence, ou prix antérieur, s’entend comme le «le plus bas pratiqué par le professionnel à l’égard de tous les consommateurs au cours des trente derniers jours précédant l’application de la réduction de prix». Le texte précise également qu’il est possible pour le professionnel de prolonger une campagne de réduction de prix tant que les consommateurs en sont clairement informés. Une promotion de cinq semaines, comme cela était le cas en l’espèce, serait donc toujours possible.
Il faut cependant noter que les dispositions du Code de la consommation ne s’appliquent pas aux promotions concernant les consommateurs titulaires d’une carte de fidélité ou de ventes privées (6). Le prix de référence sera donc à déterminer selon le prix pratiqué à l’égard de tous les consommateurs sans prendre en compte le prix pratiqué auprès des adhérents à un programme de fidélité.
Il faut ainsi comprendre que «l’exclusion s’applique quel que soit le nombre de consommateurs effectivement bénéficiaires de l’un de ces avantages particuliers, dès lors que le bien est effectivement disponible à l’achat à un autre prix pour les consommateurs» (7). Cela signifie que, contrairement au cas d’espèce, le fait que la majorité des ventes en magasin aient été effectuées auprès de clients titulaires de la carte de fidélité n’est plus un élément à prendre en compte dans la détermination du prix de référence.
Notes
1. Annonces de réduction de prix : CE que vous devez savoir !, Dgccrf, juillet 2019.
2. Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2022, n° 21- 81.179.
3. Cour d’appel de Rennes, 11e chambre correctionnelle, 27 janvier 2 0 21, n° 2 0 21/161.
4. Directive 2019/161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 m odifi a nt la directive 93/13/CEE du Conseil et les directives 98/6/CE, 20 05/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs.
5. Ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021 transposant la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 et relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs.
6. FAQ concernant les conditions d’application de l’article L. 112-1-1 du Code de la consommation, Medef, 31 mai 2022.
7. Idem 5.
> Lire l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 22 février 2022
