Non seulement les porteurs de projets doivent s’en remettre aux études d’impact, mais ils doivent désormais… s’en méfier. Même si le document conclut à l’absence de pollution de l’air ou ne voit pas la nécessité d’une dérogation au principe de protection des espèces végétales ou animales, le dossier peut à tout moment essuyer un recours mené par une ou des associations environnementales. En septembre, le Conseil d’État leur a d’ailleurs ouvert la porte en donnant valeur de liberté fondamentale au «droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé». Et ajouté au risque juridique de tout programme futur.
Par Me Marie-Anne Renaux, avocate-associée (Cabinet Wilhelm&Associés)
Val Tolosa, Village Olympique des Médias, Mille Arbres… , la liste des projets stoppés par des questions purement environnementales ne cesse de s’allonger. Et, le rythme auquel les décisions défavorables se sont suc-cédées ces derniers mois ne peut qu’alerter sur le fort aléa qui pèse sur toute opération, lors-qu’une ou plusieurs associations de défense de l’environnement se mobilise ou que le site concerné présente une sensibilité particulière.
De façon générale, les procédures administratives prévues pour assurer la protection de l’environnement, même si elles sont complexes et sources de contraintes, notamment en termes de délai d’obtention des autorisations administratives, sont aujourd’hui bien connues et maitrisées. Les risques qu’elles présentent sont à peu près prévisibles, s’agissant aussi bien de la date de leur survenance que de leur importance.
Toutefois, les affaires précitées montrent que les exigences environnementales paraissent aller en se renforçant et que certains recours et contestations peuvent être développés à ce titre, à tout moment. Non pas que de nouveaux types de recours aient été introduits par une des nombreuses réformes concernant le secteur de l’immobilier. C’est l’évolution de la lecture qui est faite de la législation en vigueur qui paraît conduire à ce contrôle renforcé de l’impact des projets.
D’abord, signe des temps, le Conseil d’État a récemment donné valeur de liberté fondamentale au «droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé» (CE, 20 septembre 2022, req. n° 451129, Publié au recueil Lebon).
Outre la portée symbolique de cette reconnaissance, elle ouvre la possibilité à toute personne qui estime que l’administration (collectivités territoriales, services de l’État, établissements publics) porte une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté, de saisir le juge des référés d’une demande tendant à faire cesser cette atteinte, en cas d’urgence caractérisée. Ainsi, dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, les requérants demandaient la suspension des travaux de recalibrage d’une route départementale du fait de la proximité d’habitat d’espèces protégées. Et c’est uniquement après avoir constaté la sensibilité modérée du milieu naturel et l’ampleur limitée des travaux que cette demande a été rejetée.
Ensuite, plusieurs des contentieux évoqués montrent que le contenu des études d’impact réalisées, parfois plusieurs années avant que les recours ne soient examinés par les juridictions administratives, est source d’une grande insécurité. Ainsi, les annulations des permis de construire accordés pour les projets Mille Arbres et Ville Multi-Strates sont intervenues en considération des conclusions de ces études, alors même qu’elles concluaient à l’absence d’effets négatifs sur la pollution de l’air.
Le caractère suffisant des études réalisées plusieurs années plus tôt semble jugé à l’aune des nouvelles exigences environnementales, dont le renforcement est lié tout à la fois à la crise climatique, à l’adoption de la loi Climat et Résilience du 21 août 2021 et aux prévisions alarmistes sur le réchauffement de la planète.
Même si toutes ces préoccupations sont légitimes, il reste difficile d’admettre qu’il puisse être fait grief aux études techniques réalisées par des cabinets spécialisés, auxquels les porteurs de projet doivent s’en remettre totalement sur le plan technique, de ne pas avoir intégré l’ensemble des critères et des sujets qui sont devenus prépondérants. Enfin, le contentieux de la préservation des espèces protégées, encadré par les articles L. 411-1 du Code de l’environnement, présente également un risque notable. Il est désormais utilisé par de nombreuses associations d’envergure nationale, de façon redoutable.
En effet, dès qu’un site sur lequel un projet doit prendre place accueille des espèces végétales ou animales bénéficiant d’une protection au sens de ce code, le pétitionnaire doit savoir que son projet présente un risque. En effet, s’il s’en remet aux conclusions de l’étude, qui indique que l’impact résiduel du projet ne nécessite pas qu’une dérogation au principe de destruction des espèces ou de leurs habitats soit sollicitée, il s’expose à ce qu’une association ou un tiers remette en cause ces conclusions. Une procédure peut, en effet, être engagée à tout moment, en saisissant le préfet du département d’une demande tendant à ce que le porteur du projet soit mis en demeure de solliciter une telle dérogation.
C’est la situation récemment rencontrée par les exploitants d’un bâtiment industriel, auxquels le tribunal administratif de Lyon a rappelé que l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation peut s’imposer à tout moment de l’exploitation de l’installation, jusqu’à la cessation de l’activité (TA Lyon, 9 décembre 2021, req. n° 2001712).
Dans ce contexte et compte tenu des récents succès remportés par les associations environnementales, il ne peut être exclu que les contentieux environnementaux dirigés contre les projets commerciaux viennent à «fleurir» !
> Lire la décision rendue par la cour administrative d’appel de Paris le 6 octobre 2022
