Cinquante ans après son ouverture sur un terrain de Cap-d’Ail appartenant à la commune, La Pinède se retrouve à la merci la ville qui en reste à une simple convention d’occupation. Tout autant que le manque d’intérêt de cette dernière pour la valorisation du domaine public, le restaurateur, merveilleusement situé au bord de la Grande Bleue, n’a pas su profiter de l’avantage que lui offrait la loi Pinel de 2014 de lui reconnaître un fonds de commerce en bonne et due forme. Histoire de la gestion négligente d’un bail et d’une autorité sans égard pour l’administration de son superbe actif.
Par Me Estelle Hittinger-Roux, avocate au Barreau de Paris (HB&Associés)
En matière contractuelle, s’il est un cocontractant inhabituel qui nécessite de rester prudent, c’est bien la personne publique, lorsqu’elle se choisit pour son domaine, un résident. Un arrêt récent le rappelle : en terre d’administration, même la propriété commerciale n’est encore qu’une invitée.
L’histoire est suivante : une commune a acquis une parcelle en bordure de mer de 2 225 m² par arrêté préfectoral du 7 avril 1951 portant déclaration d’utilité publique ; parcelle tout en longueur et suivant le contour de la mer qu’elle surplombe, le terrain étant rocailleux. Elle sera donnée à bail dès le 1er janvier 1971 pour l’exploitation d’un restaurant.
Entre 1977 et 1984, la commune installera sur cette même parcelle une aire de piquenique, des toilettes, une douche et achèvera la construction de deux locaux communaux. Des escaliers et un chemin en bordure de l’eau seront également construits. Ce faisant la parcelle remplit les conditions d’appartenance au domaine public bien que les deux usages soient séparés. Tout semble porter à croire qu’il s’agit de deux parcelles différentes si ce n’est que le bénéficiaire entretient également les installations de la commune.
Le 5 avril 1995, une convention d’occupation de 20 ans est conclue pour l’exploitation de ce restaurant. Le 18 juin 2014 est votée la loi Pinel, réformant les baux commerciaux mais reconnaissant également officiellement la constitution de fonds de commerce sur le domaine public par la création de l’article L. 2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (Cgppp). Le 5 avril 2015, la convention arrive à son terme. Le 15 février 2016, une nouvelle convention d’occupation précaire est conclue pour 5 ans. Celle-ci comporte cependant une nouvelle clause rejetant toute constitution d’un fonds de commerce au titre de cette convention. Deux mois après la signature, les bénéficiaires saisissent le tribunal à fin d’obtenir l’annulation de la clause ou, à défaut, celle du contrat. Deux thèses s’opposent alors :
– la clause est contraire à la loi et à l’historique de l’occupation des lieux. Il conviendrait donc de l’écarter ou à défaut annuler le contrat et en conclure un nouveau ; le bénéficiaire n’étant pas dans une position stable lui permettant d’en négocier les termes.
– le nouveau contrat fait foi, la clause est licite et le contrat ne comporte pas de vice suffisamment grave pour justifier son annulation.
Le périple judiciaire trouvera une conclusion devant le Conseil d’Etat qui, par un arrêt du 11 mars 2022 n° 453440, valide la deuxième position. En effet, de nombreux éléments ont été soulevés mais il a pris le parti d’en réduire la portée en se rattachant à l’arrêt de la cour d’appel et en rappelant que les juges disposent d’un pouvoir d’appréciation propre. Il a donc validé leur position sur l’appréciation de la clause comme étant licite. Pour les commerçants-locataires, une telle sentence peut faire frémir, surtout après une aussi grande durée globale d’exploitation.
Plusieurs éléments attirent le regard :
– La parcelle a reçu la qualification de domaine public lorsque des aménagements ont été réalisés par la commune pour un usage du public ; mais elle faisait déjà l’objet d’une exploitation commerciale en parallèle. Une double exploitation des lieux ne manquera donc pas d’interpeller les exploitants.
– Le premier contrat n’est pas qualifié si ce n’est pour le décrire «donné à bail». Le second est une convention d’occupation de 20 ans, puis le dernier une convention d’occupation précaire de 5 ans.
– Il n’y a pas eu de prise en compte de la fenêtre de tir pour faire reconnaître l’existence d’un fonds de commerce. Elle a existé entre le 18 juin 2014 et le 15 février 2016 (l’application de la loi Pinel et la signature du bail précaire de 5 ans), à défaut d’avoir été retenue par la suite en écartant la clause litigieuse du contrat.
Il y a donc eu une réduction progressive des droits des bénéficiaires qui ne s’inscrivent même plus dans la durée. L’arrêt ne dit pas que le dernier contrat a emporté toute renonciation à la reconnaissance d’un fonds de commerce, mais la survenance de la prescription quadriennale ne pourra que la rendre évidente. Si la personne publique fait renoncer au droit à la constitution d’un fonds de commerce, si ce fonds de commerce n’ouvre pas le droit à se maintenir ou à être indemnisé, quel est l’intérêt de la loi Pinel de l’avoir reconnu légalement ? La vocation de l’article L. 2124-32-1 du Cgppp est de permettre une valorisation économique du domaine public en créant l’acquis immatériel qu’est le fonds de commerce, or cette décision risque de vider le texte de son contenu.
Par ailleurs, le bénéficiaire en fin de contrat se retrouve dans une position particulièrement malaisée, à savoir entre la perspective de son déménagement-remplacement et celle d’accepter un nouveau contrat dont les termes sont dictés par la personne publique. L’étau est donc particulièrement serré et n’est pas sans rappeler le comportement de certains bailleurs privés vis-à-vis de leurs locataires. A ces derniers revient le privilège de bénéficier de la protection issue du statut des baux commerciaux, qui a été renforcée par, justement, la loi Pinel.
> Lire la décision rendue par le Conseil d’Etat du 11 mars 2022
