La durée des contrats de franchise, mais surtout la modification rapide des modes de consommation, commandent de mentionner dès la signature l’évolution possible du concept. Celui-ci ne peut plus être gravé dans le marbre, contrairement à ce que plaidait un franchisé Coffea cherchant querelle à l’enseigne… qui venait de passer entre les mains d’un nouvel actionnaire. Droits dans leurs bottes, les magistrats de la cour d’appel de Rouen mettent, dans un arrêt rendu le 30 mars 2022 (n° 20/01964), les points sur les «i». Non, le franchiseur ne s’est pas affranchi de ses obligations contractuelles : l’ajout du vrac n’est qu’une tendance actuelle, l’abandon de certaines gammes de chocolats et biscuits ne modifie pas l’assortiment (rien ne prouvant du reste que ces changements fussent préjudiciables), et l’abandon des tables d’hôtes n’était qu’un simple conseil ; pas d’une obligation !
Par Me Jean-Baptiste Gouache, avocat-associé, et Me Jérôme Guillé, avocat au Barreau de Paris
(Gouache Avocats)
Dans un arrêt du 30 mars 2022, la cour d’appel de Rouen a rappelé la faculté pour le franchiseur de faire évoluer son concept. Dans cette affaire, un contrat de franchise a été conclu le 3 mars 2015 pour l’exploitation, à Aix-en-Provence, d’un point de vente sous l’enseigne et selon le concept Coffea, concept de boutiques de détails proposant du café, du thé, du chocolat et des gourmandises.
Au mois d’avril 2017, le franchiseur a informé ses franchisés du projet de cession de la majorité de ses titres à un groupe russe. Cette cession étant intervenue, le franchiseur a souhaité, sous l’impulsion de son nouvel actionnariat, voir évoluer le concept et l’imposer aux franchisés à travers la mise en place d’une offre de produits «en vrac».
Le franchisé s’en est plaint, estimant qu’il s’agissait d’une modification unilatérale du contrat de franchise. Par acte du 12 décembre 2018, le franchisé a assigné le franchiseur devant le tribunal de commerce du Havre, lequel l’a débouté de ses demandes et a donné droit aux demandes reconventionnelles du franchiseur tendant notamment à la résiliation judiciaire du contrat de franchise. Le franchisé et ses dirigeants ont interjeté appel du jugement rendu.
On s’appesantira ici sur les griefs élevés par le franchisé relativement aux évolutions du concept imposées par le franchiseur. A ce titre, le franchisé soutient que le franchiseur aurait violé «le concept arrêté entre les parties», ce qui justifierait, selon lui, la résiliation judiciaire du contrat aux torts du franchiseur. Selon le franchisé, cette violation serait intervenue à trois titres.
En premier lieu, le franchisé soutient que le concept initial prévoyait la commercialisation de thés et de cafés conditionnés, de sorte que l’imposition de la vente de produits en vrac (à partir de 2017 pour le thé et 2018 pour le café) et d’un nouveau mobilier onéreux, auraient constitué une violation du concept par le franchiseur.
Sur ce point, la cour d’appel de Rouen, après avoir relevé que le franchisé ne justifiait aucunement que le concept arrêté contractuellement impliquait la vente de ces deux produits de façon conditionnée, juge que le choix du franchiseur de remplacer la vente de produits conditionnés par des produits en vrac est une évolution du savoir-faire, justifiée par les coûts de production et l’évolution de la clientèle. Soulignant le fait que le franchiseur a accompagné le franchisé pour la mise en place de ces nouveaux produits, la cour juge que le franchiseur n’a aucunement violé le concept arrêté entre les parties.
S’agissant de l’imposition du nouveau mobilier, il résulte des faits de l’espèce que le franchiseur n’a pas imposé à son franchisé la charge financière d’achat de mobiliers supplémentaires pour la vente de produits en vrac, de sorte que le grief à ce titre est injustifié.
En deuxième lieu, le franchisé soutient que le franchiseur a violé le concept en lui imposant l’arrêt de la vente de chocolats et biscuits. Pour souligner l’importance de cette gamme de produits dans le concept, il s’appuie sur l’état de marché inclus dans le document d’information précontractuelle dans lequel il est précisé que le franchiseur complète son offre de thés, cafés et chocolats par des produits de confiserie, biscuiterie, snacking et de grignotage ; que ces produits constituent un complément de chiffre d’affaires qui peut être important et contribuent au positionnement qualitatif de l’enseigne.
Sur ce point, la cour relève que le franchiseur n’a pas arrêté la vente de chocolats et biscuits mais qu’il a simplement abandonné certaines gammes desdits produits. Relevant que le franchiseur ne s’était pas engagé sur une gamme précise de chocolats et biscuits, la cour juge qu’il n’a pas, en modifiant sa gamme de produits, modifié unilatéralement le concept. A titre surabondant, le franchisé ne démontre pas les éventuelles conséquences négatives que cette modification aurait eu sur son chiffre d’affaires.
En troisième et dernier lieu, le franchisé soutient que le franchiseur a violé le concept en décidant, de manière unilatérale, d’arrêter l’activité de tables d’hôtes qui était dans le champ contractuel.
Sur ce point, la cour relève que le franchiseur a effectivement conseillé aux franchisés d’arrêter cette prestation mais que l’arrêt ne leur a pas été imposé. Elle en conclut qu’il n’est démontré sur ce point aucune inexécution par le franchiseur de ses obligations contractuelles.
En définitive, la cour retient que le franchiseur ne s’est pas unilatéralement affranchi de ses obligations contractuelles en faisant évoluer le concept. En préambule des développements commentés ci-dessus, la cour avait pris soin de reproduire l’article 5 du contrat de franchise qui prévoit que «le franchiseur procédera à l’actualisation de son savoir-faire» et que «le franchisé s’engage à suivre cette évolution».
Les contrats de franchise sont généralement conclus pour des durées longues (5 à 10 ans) et il est important :
– de ne pas garantir le maintien d’un concept, de gammes de produits, qui entreraient dans le champ contractuel ;
– de prévoir dès l’origine la faculté pour le franchiseur de faire évoluer le concept en cours de contrat et que les franchisés mettent en œuvre lesdites évolutions. Il convient alors d’encadrer les évolutions relatives au savoir-faire, aux éléments graphiques et architecturaux, à la gamme de produits et services, aux approvisionnements, etc.
A défaut, le franchiseur serait contraint de recueillir l’accord de chacun de ses franchisés pour chaque évolution du concept et ne pourrait pas imposer les évolutions aux franchisés qui ne les accepteraient pas.
Il s’exposerait alors à ce que son réseau soit très hétérogène, entre les franchisés qui n’auront pas accepté toutes les évolutions (soit qu’ils les aient toutes refusées, soient qu’ils en aient acceptées seulement quelques-unes) et ceux qui les auront acceptées et qui auront donc la version la plus à jour du concept telle que souhaitée par la tête de réseau. En tout état de cause, le franchiseur sera tenu de respecter vis-à-vis de tous l’ensemble de ses obligations contractuelles (notamment d’assistance). De fait, le franchiseur sera désincité à initier toute évolution, ce qui sera dommageable pour le réseau dans son ensemble puisqu’il risquera de ne pas être en cohérence avec l’évolution du marché.
En définitive, il est donc très fortement recommandé aux têtes de réseau de prévoir précisément, dès la signature du contrat et avant même le démarrage des premiers travaux du franchisé, les modalités d’évolution du concept au cours du contrat.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen le 30 mars 2022
