Grands ou petits, les réseaux sont sous l’œil de l’Autorité de la concurrence, comme le montre sa décision n° 21-D-24 du 12 octobre 2021. L’entente sur les prix reste pour elle un principe universel. Passe encore si elle n’est que proposée et que son application reste de la décision du commerçant. Mais gare, si le franchiseur ne fait pas la police des étiquettes ; pire, si il exerce des pressions pour que ses franchisés respectent le tarif. Grace à son faible impact sur le marché, Espace Foot s’en sort sans trop de dommages. Mais Me Jean-Louis Fourgoux en profite pour tirer d’utiles enseignements.
Par Me Jean.Louis Fourgoux, avocat-associé (Mermoz Avocats)
La diffusion de prix conseillés ou même de prix maxima est prévue par le droit de la concurrence avec des limites pour ne pas tomber sous le coup de l’interdiction des ententes verticales. Les prix conseillés peuvent être diffusés par les fournisseurs ou par les têtes de réseaux dans un but d’harmonisation. Si le prix est diffusé par le fournisseur, la preuve d’une entente verticale sur le prix entre un fabricant et ses distributeurs, suppose un accord de volonté entre les entreprises, qui résulte alors de «la réunion d’un faisceau d’indices précis, graves et concordants» comprenant :
1) l’évocation entre le fournisseur et ses distributeurs des prix de revente des produits au public ;
2) la mise en œuvre d’une police ou au moins d’une surveillance de ces prix ;
3) le constat que les prix évoqués ont été effectivement appliqués ou, ce qui serait un critère équivalent, «une application significative des prix imposés».
En effet, la différence entre le comportement unilatéral du fournisseur invitant ses distributeurs à pratiquer des prix de revente fixes ou minimaux et l’entente verticale anticoncurrentielle réside dans la preuve de l’acquiescement des distributeurs, qui peut être rapportée librement.
Dans les réseaux, la question sera de savoir si des clauses contractuelles permettent de caractériser un accord sur le prix qui doit être pratiqué par les membres indépendants, ou si les prix conseillés ne sont pas en pratique un prix de vente fixe ou minimal «sous l’effet de pressions exercées ou d’incitations par l’une des parties». La vérification de la police des prix sera dans ce cas un élément déterminant.
Le franchiseur Espace Foot (vente d’articles de sport), en a fait les frais, même s’il s’en est tiré à bon compte ! Ce réseau qui s’est développé en franchise à partir de 2002 commercialise des chaussures, maillots officiels des grands clubs. Les magasins réalisent 90 % de leur chiffre d’affaires avec trois principaux fournisseurs : Nike, Adidas et Puma, qui diffusent eux même des prix conseillés. L’enseigne avait inséré une clause dans ses contrats de franchise entre 2002 et 2018 ainsi rédigée : «Dans l’esprit de protection de l’image de marque, le franchiseur communiquera les prix de vente courants, et le franchisé appliquera les prix communiqués».
La condition constitutive de l’entente, à savoir un accord de volonté ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel, est considérée comme parfaitement établie et l’entente caractérisée. L’enquête administrative a en outre mis en évidence une grande identité de prix des articles (chaussures Adidas, maillots Puma, casquette, écharpes…) et a démontré que les prix des contrôles ont été effectués par le franchiseur et des pressions ont été exercées à l’égard des franchisés qui ne respecteraient pas la politique tarifaire et promotionnelle du franchiseur.
Compte tenu de la durée de l’infraction le montant de la sanction aurait pu être très élevée. Le franchiseur a fait le choix de négocier à l’Autorité de la concurrence une transaction pour limiter le montant de la sanction et accélérer le processus décisionnel en facilitant le travail des services d’instruction de l’Adlc. Le franchiseur a reconnu le grief d’entente verticale qui lui était reproché et le montant de l’amende a été fixé à 25.000 euros, soit 3 % de son chiffre d’affaires annuel. L’Autorité a souligné que le dommage causé à l’économie restait limité, en raison de la faible taille du réseau Espace Foot qui regroupe 22 magasins réalisant au total un chiffre d’affaires de 20 millions.
Les leçons de cette décision sont doivent être soulignées.
– Petit ou grands réseaux, le droit de la concurrence s’applique et les contrôles peuvent faire ressortir des pratiques considérées à tort comme usuelles (Décision n° 17-D-01 du 26 janvier 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des arts de la table et de la cuisine, petit réseau condamné à 3.200 euros, Guess condamné par la commission européenne à quasi 40 millions (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_6844),
– Le fait que les grands fournisseurs diffusent des prix conseillés n’est pas une protection et ne permet à un réseau de distribution d’imposer ces prix,
– Le franchiseur peut en fin de compte être le seul condamné quand bien même les membres du réseau de distribution sont considérés comme ayant accepté de participer à l’entente sur les prix.
Attention : dans certains cas les revendeurs indépendants sont également poursuivis et condamnés (https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/lautorite-de-la-concurrence-sanctionne-le-fabricant-de-dispositifs-de) ; ils ne peuvent donc se croire immunisés. Les fournisseurs doivent éviter de fixer, eux aussi, les prix (Asus condamné à 63 millions par la Commission européenne pour prix imposés).
Cette question demeure un sujet d’enquête pour les autorités de concurrence. Il est donc primordial d’anticiper la rédaction prudente des contrats et d’éviter de s’immiscer dans la police des prix au sein de son réseau !
Pour lire l’intégralité de la décision : https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/integral_texts/2022-11/22d22.pdf
