Par un arrêt remarqué du 5 janvier 2022, la cour d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur le caractère significativement déséquilibré de certaines clauses et pratiques utilisées dans le réseau de franchise Pizza Sprint, repris par Domino’s Pizza. L’occasion pour les franchisés de se plaindre (ce qu’ils semblaient n’avoir jamais fait auparavant) et pour l’administration de mettre son nez dans leurs affaires… Par là même, les magistrats opèrent une analyse stricte de la situation, invitant les acteurs de la franchise à réfléchir avec attention aux pratiques qui les animent.
Par Me Cecile Peskine, avocate à la Cour, conseil en réseaux (Linkea)
De 2013 à 2016, la Dgccrf a enquêté sur les relations franchiseur-franchisés, et s’est notamment intéressée à la situation du réseau Pizza Sprint. Il importe de préciser que celui-ci a été repris par un autre acteur du marché en 2016 (Domino’s Pizza), ce rachat ayant donné lieu au passage sous la nouvelle enseigne de la plupart des franchisés du réseau. Dans ce contexte de reprise et de changement d’enseigne, l’attention du ministre de l’Économie a été portée sur la présence de clauses et pratiques «significativement déséquilibrées» au sein du réseau Pizza Sprint. Dénombrant plus d’une quarantaine de pages, l’arrêt n’est pas aisé à synthétiser, aussi s’attèlera-t-on ici à en commenter les enseignements et questionnements essentiels, sans pour autant pouvoir prétendre à l’exhaustivité de l’exercice.
A titre liminaire, la cour relève la surprenante légèreté de la Dgccrf, qui ne prend la peine de verser aux débats que 20 contrats de franchise sur les 47 qu’elle entend incriminer. Étrange pratique qui est celle consistant à tenter de sanctionner des entreprises, sans pour autant prendre la peine d’étayer ses allégations. La cour n’est pas dupe, et écarte les demandes du ministre concernant les contrats de franchise non produits. Le principe élémentaire selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur est ainsi sauvegardé, ce dont le lecteur se réjouira. Et il est probable que les autorités de contrôle prendront la peine à l’avenir d’assurer une communication de pièces complète et non parcellaire.
Entrant ensuite dans le vif du sujet, la cour analyse l’existence – réelle ou supposée – d’une soumission ou tentative de soumission à une pratique de déséquilibre significatif au sein du réseau Pizza Sprint. Rappelons tout d’abord que l’existence d’une telle pratique est caractérisée dans l’hypothèse où il serait établi «une absence de négociation effective ou l’usage de menaces visant à forcer l’acceptation». Pour constater en l’espèce que l’ensemble des contrats de franchise versés aux débats sont identiques, élément qui – corroboré par la part de marché importante du franchiseur et le défaut d’information sur le fonctionnement réel du réseau – est considéré comme établissant l’existence d’une absence de négociation effective.
On regrettera à cet égard que la cour ne s’attarde pas à vérifier si certains franchisés ont en pratique tenté de négocier certaines des clauses du contrat et se sont vus opposer une fin de non-recevoir. Elle ne tient pas plus compte du fait que le réseau est composé de nombreux franchisés exploitant plusieurs points de vente, et ayant ainsi signé plusieurs contrats de franchise, ce qui atteste incontestablement de leur satisfaction, réaffirmant par là-même leur confiance et épanouissement dans le réseau.
Ainsi, la démonstration d’une prétendue imposition contractuelle laisse à désirer. Les praticiens de la matière auraient en effet pu témoigner de ce que rares sont les réseaux de franchise où le franchisé n’est pas mis en mesure d’évoquer les termes du contrat avant sa signature : un dialogue s’engage ainsi très fréquemment entre les parties – notamment sur les clauses relatives au territoire, à l’intuitu personae et aux engagements d’exclusivité. Les magistrats se contentent en l’état de prendre acte de l’uniformité des contrats de franchise signés pour en tirer la conclusion de la soumission à une pratique de déséquilibre significatif, ce qui paraît réducteur.
Sur l’existence d’un déséquilibre significatif elle-même, la cour incrimine trois typologies de clauses distinctes usuellement présentes dans les contrats de franchise, qu’il convient d’examiner individuellement. Est en premier lieu incriminée la clause d’approvisionnement, aux termes de laquelle le franchisé est tenu à une obligation de détenir un stock minimum d’une valeur de 3.000 à 5.000 euros ht. Si celle-ci ne prévoyait pas un engagement d’achat exclusif du franchisé, ce-dernier y était contraint en pratique, tant par l’existence d’un montant minimum d’achat élevé, que par les relances des équipes d’animation du franchiseur. Relevant que les produits objet du concept se trouvaient également chez d’autres fournisseurs, et que le franchisé ne bénéficiait pas d’un avantage commercial à les acheter auprès de la centrale du franchiseur, la cour sanctionne la pratique résultant de la combinaison formée par la clause d’approvisionnement et l’obligation de détention d’un stock minimum.
Il est réaffirmé par là-même un principe de bon sens : on ne peut imposer à un franchisé un approvisionnement exclusif que si celui-ci découle de la spécificité des produits ou s’il lui procure un avantage commercial. Pour autant, l’analyse laisse quelque peu à désirer, puisque la cour ne tient pas compte de l’avantage que constitue la possibilité pour un franchisé de s’approvisionner auprès d’un seul et même fournisseur pour l’ensemble de ses références, sans avoir à gérer les achats auprès de plusieurs fournisseurs du réseau, à en négocier les conditions commerciales et logistiques. Autant d’éléments qui permettent à notre sens de constituer un atout pour les franchisés, justifiant la présence d’une clause d’approvisionnement exclusif.
En second lieu, la cour stigmatise la clause d’intuitu personae, aux termes de laquelle l’accord du franchiseur est requis pour «tout projet ayant une incidence sur la répartition du capital social du franchisé», alors même que le franchiseur demeure, lui, libre d’opérer toute cession. Faut-il pour autant en déduire que ces clauses, courantes, et de l’essence même des contrats de franchise, se doivent d’être systématiquement reformulées par les réseaux de franchise ? Rien n’est moins sûr ! D’une part, car il est et demeure légitime pour le franchiseur d’agréer le franchisé qui, en adoptant l’enseigne, s’en fait l’ambassadeur, et de veiller à ce qu’il dispose des qualités nécessaires. Cette position, confirmée de manière constante par la jurisprudence, ne saurait être remise en cause par l’arrêt d’espèce, qui incrimine l’imprécision de la clause, et plus particulièrement du terme «incidence», mais ne semble toutefois pas en remettre en cause le fondement. En effet, cet arrêt, ne doit pas ébranler ce que la pratique, et, une série de jurisprudences bien établies, ont admis de manière constante (cf. Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 4, 7 mai 2014, RG n° 12/04794 ; Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 4, 6 mars 2019, RG n° 17/18551 ; Cour d’appel d’Angers, Chambre commerciale, 19 décembre 2006, RG n° 06/00261).
D’autre part, en raison du fait que le franchiseur promet au franchisé le bénéfice d’une marque, d’un savoir-faire et d’une assistance, lesquels persistent – même si des changements interviennent dans la détention capitalistique du franchiseur. En effet, les prestations attendues du franchiseur ne portent aucunement sur sa personne ou sur la répartition de son capital social, mais bien sur l’essence même du contrat de franchise, dont la validité ou l’existence ne sauraient être remises en cause dès lors que le concept promis au franchisé reste mis à sa disposition de manière constante et que la stipulation contractuelle relative à l’intuitu personae n’est applicable qu’au franchisé (cf. Cour d’appel de Dijon, 1re Chambre civile, 8 avril 2010, RG n° 09/00679). Il est donc loisible de considérer que la position prise dans l’affaire Pizza Sprint relève d’avantage du cas d’espèce que d’un revirement de jurisprudence. C’est en effet au regard du contexte spécifique de l’affaire que la cour prononce la nullité de la clause concernée : reprise d’un réseau par un concurrent ayant amené au changement d’enseigne de la plupart des franchisés du réseau (seuls 4 magasins sur les 89 existants ont conservé l’enseigne Pizza Sprint quatre ans après la cession).
En ce sens, dans d’autres affaires portant sur un simple changement dans la structure du franchiseur, sans entraîner de révolution d’enseigne ou de concept, la jurisprudence a eu l’occasion de rappeler qu’ «il est de principe que le contrat de franchise peut être vendu par le franchiseur sans avoir à être soumis à une acceptation par le franchisé, ce d’autant que le contrat prévoit que l’intuitu personae dudit contrat ne vaut que pour le franchisé» (cf. Cour d’appel de Paris, Pôle 5 Chambre 4, 7 mars 2018, RG n° 16/00634) ou encore que «le principe de l’intuitu personae ne peut faire obstacle à la substitution du franchiseur, dès lors que celle-ci a été expressément prévue par le contrat» (cf. Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 4, 4 février 2015, RG n° 12/20304).
On ne saurait par conséquent déduire de l’arrêt commenté que le franchiseur se doit de soumettre à l’accord des franchisés toutes les opérations de transfert dont il fait l’objet, dès lors que les engagements pris au terme du contrat de franchise demeurent et que ce dernier prévoit la non-réciprocité de l’intuitu personae.
En troisième lieu, la cour sanctionne la clause résolutoire unilatérale, ne prévoyant une faculté de résiliation qu’au profit du seul franchiseur. Relevant toutefois que le contrat de franchise avait d’ores et déjà évolué sur ce point. L’analyse complète de cet arrêt implique également de dénombrer les clauses dont la cour confirme la validité pleine et entière, malgré le contexte spécifique :
– la faculté pour le franchiseur de recommander un architecte en charge des travaux d’aménagement, dès lors que celui-ci pratique des tarifs de marché,
– le contrôle du respect de la règlementation en matière d’hygiène et de la bonne mise en œuvre du savoir-faire (visites d’animation, visites clients-mystères), que le franchiseur est habilité à imposer aux franchisés,
– l’usage d’un forfait marketing correspondant à des prestations rendues par le franchiseur.
Enfin, la cour rejette à juste titre les demandes des franchisés tendant à l’annulation de leurs contrats de franchise, ces derniers ne démontrant pas que les clauses incriminées étaient essentielles et déterminantes de leur consentement. Accordant toutefois à certains d’entre eux une somme de 10.000 euros à titre d’indemnisation d’un préjudice moral évalué à la louche, sans davantage de précisions. L’addition est également lourde s’agissant de l’amende infligée au franchiseur, qui se voit condamné à une amende de 500.000 euros.
Quelles leçons en tirer ?
L’arrêt concerné incitera les franchiseurs à ne jamais oublier l’essence même de leur rôle : transmettre au franchisé un savoir-faire, lui procurant un avantage concurrentiel, et être en mesure d’entretenir ce savoir-faire, ainsi que d’apporter la preuve de sa pertinence. Il n’invitera pas pour autant les rédacteurs de contrat à en modifier les clauses pour autant que la pertinence de celles-ci soit précisément démontrée au regard des avantages apportés aux franchisés.
