Au départ, les choses étaient claires : si le pétitionnaire voulait bien modifier son projet dans le sens demandé par la Cnac, il gagnait le droit de revenir directement devant celle qui venait de le retoquer, sans repasser par la case départ de la Cdac. C’était la clause «de revoyure» de la loi Elan de 2018. Le décret n° 2019-563 du 7 juin 2019, codifié aux articles R. 752-43-1 et suivants du Code de commerce, a précisé cette disposition. Il a tout embrouillé. En donnant à la Commission licence de dire si le dossier disposait oui ou non de cette facilité, il lui donne un pouvoir qu’elle n’avait pas… Et qu’elle utilise bravement, comme le montre sa récente décision n° P29553020N, par laquelle elle éconduit bravement un qui y croyait !
Par Me Antony Dutoit, avocat au Barreau de Paris (Antony Dutoit Avocat)
La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Elan, a notamment introduit une nouveauté supposée faire gagner du temps aux demandeurs recalés par la Cnac. Précédemment, l’article L. 752-21 du Code de commerce prévoyait qu’un pétitionnaire dont le projet avait été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d’aménagement commercial ne pouvait déposer une nouvelle demande d’autorisation sur un même terrain, à moins d’avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l’avis de la Commission nationale. Sous cette réserve de prise en compte, le demandeur pouvait alors déposer une nouvelle demande d’autorisation d’exploitation commerciale ou de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale entraînant la saisine de la commission départementale. Et le pétitionnaire était alors reparti pour un tour.
La création d’un by pass
La loi Elan a instauré un raccourci en permettant la ressaisine directe de la Commission nationale d’aménagement commercial, sous conditions, après un avis défavorable de celle-ci. Grâce à ce raccourci, exit la re-saisine de la Cdac ! Plus précisément, c’est l’article 171 de cette loi qui a complété l’article L. 752-21 précité : lorsque la nouvelle demande ne constitue pas une modification substantielle au sens de l’article L. 752-15 du présent Code, elle peut être déposée directement auprès de la Commission nationale d’aménagement commercial.
Rapidement, dans la pratique, cette procédure de saisine directe a pris le nom de «revoyure». Aux termes de la loi, les choses s’annonçaient plutôt simplement. Le décret n° 2019-563 du 7 juin 2019, relatif à la procédure devant la Commission nationale d’aménagement commercial et au contrôle du respect des autorisations d’exploitation commerciale, a précisé les conditions de cette revoyure. Selon ses propres termes, ce décret organise la procédure dite de «revoyure» qui permet, sous conditions, de soumettre une demande d’autorisation d’exploitation commerciale à la Commission nationale sans passer préalablement en commission départementale.
Ce décret a entraîné la codification des articles R. 752-43-1 et suivants relatifs à la saisine directe de la Cnac. Aux termes de l’article R. 752-43-1 du Code de commerce : «L’avis ou la décision de la Commission nationale d’aménagement commercial mentionne, le cas échéant, la faculté pour le pétitionnaire de la saisir directement d’une nouvelle demande d’autorisation selon la procédure prévue à l’article L. 752-21.»
Les conditions du by pass
L’article R. 752-43-1 du Code de commerce pose donc les conditions à cette ressaisine directe. La loi ne semblait avoir prévu qu’un seul cas d’exclusion de la revoyure : l’existence d’une modification substantielle. Il semble ressortir du règlement que la Commission nationale d’aménagement commercial disposerait d’un pouvoir d’appréciation des projets dignes de revoyure.
C’est à elle que reviendrait le pouvoir de mentionner cette faculté.
Il s’agit alors de déterminer l’importance de cette mention et plus précisément encore quelles conséquences emportent l’absence de cette mention. En d’autres termes : le pétitionnaire peut-il être privé de revoyure en même qu’il essuie un avis défavorable ? Il faut bien admettre que la loi semblait bien ouvrir la boîte de la saisine directe en la limitant aux cas où le projet subissait après le refus ou l’avis défavorable une ou plusieurs modification(s) substantielle(s).
Le décret semble donc aller plus loin en ajoutant que lors du premier examen par la Commission nationale d’aménagement commercial, celle-ci peut décider par avance si elle accepterait de revoir directement» le demandeur. Autrement dit, la première présentation du projet retoqué se solderait donc également par un préjugé. La Commission nationale d’aménagement commercial déciderait alors que le pétitionnaire sera capable ou non de tenir compte de ses critiques pour oser se présenter de nouveau à elle.
Il faut bien dire que les critères de la revoyure sont alors particulièrement flous. En effet, il paraît bien impossible de dire quel refus ou avis défavorable ouvrira la porte à la revoyure et quel autre sera envoyé «Aux barbaresques (!)» (1) départementales.
La Cnac a tranché et c’est tranchant
En effet, la Commission nationale d’aménagement commercial considère que les dispositions législatives et réglementaires précitées prévoient qu’il lui «revient de fixer dans sa décision la possibilité de la saisir directement».
La Cnac s’arroge donc le pouvoir de revoir directement les projets et ce pouvoir ; elle se l’arroge avant même d’avoir pu examiner les modifications apportées au projet. Beaucoup y verront une mention arbitraire excédant les dispositions législatives voire réglementaires. Tel est le sens de sa décision n° P29553020N pour laquelle la demande de revoyure du pétitionnaire a été rejetée. La Commission nationale d’aménagement commercial a alors décidé qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur sa nouvelle demande.
Autrement dit, l’avis défavorable ou le refus doivent expressément indiquer que la saisine directe est possible. A défaut de cette mention, point de revoyure ! C’est cela le monopole de la Cnac. Cela signifie que le pétitionnaire doit faire son retour à la case départ, non pour toucher 200 € (2), mais pour obtenir le feu vert de la Cdac et, en cas recours, avoir l’heur de se représenter devant la Cnac. Cela signifie donc bien que la Cnac, par anticipation, détermine si le pétitionnaire est en capacité d’apporter les modifications nécessaires à son projet pour se dispenser d’un nouveau passage en Cdac. C’est aller au-delà la loi…
Sont ici réunis tous les ingrédients d’une position du juge très attendue.
Notes
1. Réplique film de Gérard Oury, «La folie des Grandeurs», 1971.
2. Histoire et règles du Monopoly, fr.wikipedia.org/wiki/Monopoly#Déroulement
