A titre de discipline, la négociation s’est développée considérablement dans les 35 dernières années suivant l’influence notable des ouvrages «The Art and Science of Negotiation» (3) et «Getting to Yes» (4), ainsi que du Program On Negotiation (PON) de l’Université d’Harvard, passant d’un modèle de négociation distributif sur positions à un modèle intégratif basé sur les intérêts des parties. Trente-cinq années plus tard, la pratique de la négociation dans le domaine commercial ne s’est pas révolutionnée au niveau espéré. En réponse aux limites de la négociation à titre de processus au potentiel de valeur ajoutée s’est développée la pratique du «deal mediation» qui capitalise sur l’expertise du médiateur pour assister les parties à atteindre le meilleur accord commercial possible en amont d’une relation d’affaire.
Par Claude Amar (1) et Véronique Fraser, Ph.D. (2)
Qu’est-ce que le «deal mediation» ? Il s’agit d’une négociation facilitée, avec le concours d’un tiers neutre, pour les transactions commerciales pour lesquelles aucun différend n’a émergé (5).
Le «deal mediator» est un tiers indépendant et impartial, qui, sans donner son opinion ou exercer un quelconque pouvoir décisionnel, est capable de révéler les intérêts de toutes les parties con cernées. Le «deal mediator» peut intervenir à deux niveaux pour bonifier le processus de négociation entre les parties.
Premièrement, il s’assurera, dans la mesure du possible et en respectant le principe de l’autodétermination des parties, que celles-ci parviennent à un accord. Deuxièmement, il travaillera à ce que l’accord, quel qu’il soit, porte en lui la valeur la plus élevée possible pour chaque partie ; c’est-à-dire que chaque partie reçoive le maximum de bénéfices possibles issus de l’accord trouvé par les parties.
Quatre avantages de faire appel à un «deal mediator» pour la conclusion d’accords commerciaux
1. Accroître les chances d’arriver à une entente
Les accords sont de plus en plus internationaux, avec des parties de cultures et de milieux variés, d’où des styles différents de négociation (6). Plusieurs obstacles de communication, des barrières cognitives à l’entente, des aspects émotionnels et relationnels, des standards divergents d’éthique et un manque de formation en négociation entraînent un risque de malentendus (7). Par ses compétences en communication et règlement des conflits, le «deal mediator» est à même de déjouer de tels malentendus en clarifiant les significations sous-jacentes des éléments exprimés par les parties.
2. Création de valeur ajoutée à l’entente
Un deuxième intérêt au «deal mediator» se trouve dans sa capacité à identifier les intérêts de chaque partie et à les assister à imaginer des solutions pour y satisfaire. Trop souvent, les parties entrent dans la négociation d’un accord commercial avec des positions arrêtées (8).
La tâche du «deal mediator» est d’éviter une négociation positionnelle en insistant sur les intérêts ou les besoins sous-jacents. Il soulève les questions délicates et critiques, qui sont les clés pour conclure un bon accord, mais qui n’auraient pas été abordées par les parties elles-mêmes, de peur de mettre en péril l’accord. En outre, avec une expertise en négociation intégrative, le «deal mediator» peut aider les parties à concevoir des solutions créatives pour créer de la valeur ajoutée, qui peuvent inclure l’ajout de thèmes de négociation, la création de contingences, la priorité des intérêts, l’échange de ces priorités et la concession au niveau des intérêts secondaires et l’assistance pour mener un processus de remue-méninges («brainstorm»).
La présence du «deal mediator» permet également aux parties d’éviter de tomber dans le piège d’une dynamique compétitive de la négociation qui prend place lorsqu’elles cherchent à maximiser leur valeur individuelle (9).
3. Création d’un accord équilibré et durable
Un troisième avantage du «deal mediator» se retrouve dans sa compréhension exhaustive de l’accord qui lui permet d’aider les parties à anticiper les différends. Le «deal mediator» peut également avoir une expertise spécifique du secteur, laquelle constitue un atout dans la détermination des éventuels éléments litigieux. De plus, il peut aider les parties à personnaliser les processus de règlement des différends qu’elles utiliseront pour régler, au besoin, les différents points litigieux pré-identifiés par les parties en fonction de leurs besoins et de leur situation spécifique. Cela peut inclure l’établissement de canaux de communication ou la nomination d’un tiers permanent au contrat (souvent le «deal mediator» lui-même) qui aidera les parties à résoudre leurs différends en temps réel.
4. Aider les parties à évaluer les risques
Finalement, un quatrième avantage repose sur la capacité du «deal mediator» à aider les parties à évaluer les risques. Au cours de la négociation d’un accord commercial, les conseillers juridiques tentent souvent de maximiser avec zèle la valeur individuelle pour leur client en transférant le plus grand nombre de risques à la partie adverse. Or, une méthode irréaliste de répartition des risques peut accroître les coûts, occasionner un nombre important de différends, engendrer une grande méfiance, voire même une animosité, et conduire ainsi à des conséquences plus néfastes que celles imaginées au départ. Le «deal mediator» peut aider les parties à assigner chaque risque de la relation commerciale à la partie qui est la mieux équipée pour le gérer, le contrôler et s’assurer.
Une répartition réaliste promeut l’efficience et la durée de l’accord, réduit les coûts et crée de meilleures relations, résultant ainsi en une réduction des conflits et une plus grande chance de succès de chacune des entreprises (10).
Conclusion
Pourquoi recourir à un «deal mediator» quand les parties peuvent, avec l’expertise de leurs conseillers juridiques, négocier un accord entre elles ? L’objectif du «deal mediator» n’est pas simplement d’aider les parties à parvenir à un accord, mais plutôt de les assister à parvenir au meilleur accord pour toutes les parties en s’assurant que leurs intérêts profonds soient comblés. En d’autres termes, l’objectif du «deal mediator» est de créer le meilleur accord possible tandis que les conseillers juridiques des parties visent à maximiser la valeur individuelle pour leur client.
En outre, il faut considérer le «deal mediator» comme une police d’assurance. La meilleure manière de résoudre un conflit est de le prévenir (11). Les coûts associés à la résolution de conflit sont bien plus élevés que le coût d’un «deal mediator», engagé dès les premières étapes de la négociation d’un accord commercial. Enfin, un bon «deal mediator» encourage un dialogue ouvert et favorise la communication entre les parties, ce qui conduit à une relation de travail plus solide et durable.
Notes
1. Claude Amar est médiateur et conseiller en prévention et résolution des conflits. Il a été formé à la médiation au Center for Mediation in Law, San Francisco, par Gary Friedman, a suivi les cours du Program On Negotiation de Harvard Law School de Robert Mnookin. Il est architecte Dplg (École nationale supérieure des Beaux Arts, Paris) et a suivi le cours de Finance à l’Insead, Fontainebleau. Il s’est spécialisé dans le développement d’hôtels à travers le monde. Médiateur, certifié par l’Imi (International Mediation Institute), le Simi (Singapore International Mediation Institute) et l’Ifcm (Institut Français de Certification des Médiateurs), il est régulièrement désigné par les tribunaux français, Tgi, tribunal de commerce et cour d’appel, ainsi que par la Cci (chambre de commerce internationale). Il est médiateur à l’Espace d’accès à la médiation, à destination d’un public en difficulté. Les auteurs tiennent à remercier Fedorah Philippeaux, étudiante au MA Peace and Conflict Studies, Double International Award from the University of Marburg and the University of Kent et Camille Audemard, étudiante Master 2 Droit et Gestion des Ressources Humaines en alternance, Université Catholique de Lille pour leur excellent travail d’assistance de recherche.
2. Véronique Fraser, Ph.D. est vice-doyenne déléguée au développement stratégique et professeure à la Maîtrise en prévention et règlement des différends de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle est médiatrice accréditée et avocate membres des barreaux du Québec (droit civil) et de l’Ontario (common law). Elle siège sur le Comité exécutif de la International Task Force on Mixed Modes Dispute Resolution, un effort combiné du College of Commercial Arbitrators, du International Mediation Institute et du Straus Institute for Dispute Resolution, Pepperdine University School of Law, en ligne : https://imimediation.org/imi-mixed-mode-mediation-task-force.
3. Raiffa, 1982.
4. Fisher et Ury, 1982.
5. Stearns, 2008 www.imimediation.org/joan-stearns-article
6. Salacuse, 2002 imimediation.org/jeswald-salacuse-article
7. Peppet, 2004 lawweb.colorado.edu/profiles/pubpdfs/peppet/ohio.pdf
8. Fisher et Ury, 1982.
9. Roberge, 2011 www.amazon.fr/justice-participative-juridique-intégrative-différends/dp/2896356541
10. CPR International Institute for Dispute Prevention & Resolution, 2010. www.cpradr.org/newspublications/articles/2010-11-23-cpr-prevention-practice-materials
11. Armes, 2011 drbfconferences.org/documents/brussels2011/9ArmesPPT.pdf
