Tribunal de commerce de Saint-Nazaire
24 septembre 2025
RG 2024002126
Burger King Restauration t Burger King Construction c./ Sas 2RG Restauration rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie
Faits
Les sociétés Burger King projettent la construction d’un restaurant au centre commercial des salines à La Baule.
13/01/23 : elles signent avec Carrefour Property un bail commercial en l’état futur d’achèvement, sous condition suspensive d’un permis de construire purgé de tous recours. Carrefour construit le bâtiment, Burger King Construction aménage le restaurant et Burger King Restauration crée le fonds de commerce et le donne en location gérance. L’ouverture est prévue le 1/03/24.
28/12/22 : une première autorisation administrative est donnée au titre des ERP pour la coque brute et les aménagements extérieurs.
07/01/23: une deuxième autorisation administrative est donnée au titre des ERP pour les aménagements intérieurs.
01/03/23 : un permis de construire est accordé à Carrefour Property.
Les sociétés 2RG et Lincoln Park exploitent un restaurant McDonald’s dans la même zone à 200 mètres.
28/04/23 : elles saisissent le maire de Guérande d’un recours gracieux contre les trois autorisations administratives.
29/06/23 : la commune rejette le recours.
25/09/23 : elles saisissent le Tribunal administratif de Nantes d’un recours en annulation des autorisations administratives.
15/11/23 : nouvelle autorisation municipale de travaux.
12/12/23 : permis de construire modificatif, affiché en 06/24.
04/12/23 : le Tribunal administratif rejette la requête dans son ordonnance de tri en raison de son irrecevabilité manifeste.
02/02/24: elles saisissent la Cour d’appel administratif de Nantes.
28/03/24 : la Cour Administrative d’ Appel rejette l’appel dans son ordonnance de tri pour irrecevabilité manifeste faute d’intérêt à agir.
L’opération a donc été bloquée pendant 13 mois.
03/06/24: les sociétés Burger King conviennent avec Carrefour Property de proroger la date de réalisation des conditions suspensives du 13/01/23 au 30/09/25.
Procédure
C’est dans ce contexte que, suivant acte en date du 29/07/24, l’assignation a été signifiée par PV 658 du CPC, par Me Massicot huissier de justice.
En suite d’un calendrier de procédure respecté par les parties, et l’affaire étant en état d’être plaidée, les parties ont été régulièrement convoquées devant le tribunal pour être entendues en leurs explications.
Elles se sont toutes présentées et ont été entendues,
Au cours de son audience publique du même jour, et après avoir entendu les parties, le tribunal a prononcé la clôture des débats, a mis l’affaire en délibéré et précisé aux parties que le jugement sera rendu par disposition au greffe le 24/09/25.
Prétentions des parties
Par conclusions récapitulatives n° 3 du 25/06/25, les société Burger King demandent au tribunal de :
Vu les articles :
1240 du Code civil,
L 600-1-2, L 600-7 du Code de l’urbanisme,
R 222-1 du Code de justice administrative,
74 du CPC,
Les pièces et la jurisprudence versées,
Déclarer les demandes des sociétés Burger King recevables et bien fondées,
Juger que les recours engagés par les sociétés 2RG et Lincoln Park contre le permis de construire du 1/03/23, ainsi que les autorisations ERP des 28/12/22 et 07/01/23 nécessaires à la réalisation du restaurant Burger King de Guérande, constituent un abus du droit d’agir en justice.
Juger que ces recours sont la cause directe d’un préjudice certain pour les sociétés Burger King.
Condamner in solidum et en réparation les sociétés défenderesses à verser à la société Burger King Restauration la somme non définitive et à parfaire de 945.629 € à titre de dommages et intérêts, augmentés des intérêts légaux à compter de la présente assignation,
Condamner in solidum et en réparation les sociétés défenderesses à verser à la société Burger King Construction la somme non définitive et à parfaire de 19.600 € à titre de dommages et intérêts, augmentés des intérêts légaux à compter de la présente assignation,
Ordonner l’exécution provisoire de la décision,
Condamner in solidum les sociétés défenderesses à verser aux demanderesses, chacune, la somme non définitive et à parfaire de 5.000 € en application de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens,
Débouter les défenderesses de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions y compris les conclusions de sursis à statuer.
Par condusions récapitulatives du 07/03/25, la Sas 2RG Restauration Rapide de Guérande et la Sarl Lincoln Park Compagnie demandent au tribunal de :
Au visa des articles L 600-7 du Code de l’urbanisme, 75 et 122 du CPC,
Vu les pièces et en particulier l’arrêté de permis modificatif et le bail commercial ln limine litis :
Se déclarer Incompétent au profit du Tribunal administratif de Nantes
Surseoir à statuer et saisir le Tribunal administratif de Nantes aux fins qu’il se prononce sur la légalité des autorisations administratives dont se prévalent les sociétés demanderesses, au moyen d’une question préalable portant sur :
L’autorisation de travaux AT 044 0069 22T0038 du 28/12/22 à la société Carrefour Property France
L’autorisation de travaux AT 044 069 22T0043 du 7/01/23 délivrée à la société Burger King Construction
Le permis de construire PC044 069 22T0121 du 1/03/23 à la société Carrefour Property,
En tout état de cause :
Débouter les demanderesses de l’ensemble de leurs demandes comme étant infondées et injustifiées,
Condamner subsidiairement les demanderesses à verser aux défenderesses la somme de 5.000 € à chacune au titre de l’article 700 du CPC, et au entiers dépens.
Moyens des parties
Burger King Restauration et Burger King Construction exposent (en synthèse de 35 pages de conclusions, appuyées de 24 pièces) :
Rappellent les faits.
Sur la recevabilité
L’article L 600-7 du code de l’urbanisme prévoit que le demandeur peut demander au TA saisi d’un recours abusif de lui allouer des dommages et intérêts.
Mais cette position est contraire à la Cour de Cassation qui juge que cet article n’a pas pour objet ni pour effet d’écarter la compétence de droit commun du juge judiciaire. La position de la CA de Versailles invoquée est isolée et critiquée.
L’article L 600-7 n’est pas opposable aux demanderesses car il ne concerne que le bénéficiaire du permis de construire. Or Carrefour Property n’est pas à l’origine de cette action qui vise également des décisions ERP non visées par le texte. Les demanderesses n’étant pas en défense dans le recours exercé devant le tribunal administratif.
Lorsque le recours devant le tribunal administratif est écarté par une ordonnance de tri, il n’y a pas de défendeur car le tribunal n’entame pas l’instruction de l’affaire, ne communique ni la requête ni le numéro d’instance.
Le tribunal de commerce de Saint-Nazaire est donc compétent.
Sur l’intérêt à agir des requérantes
Les défenderesses ne discutent aucun point d’irrecevabilité mais le lien de causalité entre leurs recours abusifs et le retard pris dans l’exploitation du restaurant, et considèrent que cela est dû à l’attente d’un permis modificatif et d’une autorisation ERP rectificative.
Les demanderesses ne discutent donc que du fond de la demande et pas de la recevabilité, l’action est donc recevable.
D’ailleurs les défenderesses ne reviennent pas sur la recevabilité dans leurs dernières conclusions.
Sur l’irrecevabilité des conclusions aux fins de sursis à statuer présentées par les défenderesses
Les défenderesses demandent à ce que le tribunal saisisse le juge administratif d’une question préjudicielle sur la légalité des autorisations rejetées par lui et sursoie à statuer en attendant. Cette demande est dilatoire et sans fondement et irrecevable en application de l’article 74 du CPC car non soulevée avant toute défense au fond. Or cette demande a été soulevée le 7/03/25 postérieurement à la défense au fond de décembre 24.
Sur .l’abus de droit à agir en justice
Les recours engagés contre le projet étaient manifestement irrecevables.
Les défenderesses étaient irrecevables à agir contre le PC qui n’était pas, par lui-même, de nature à affecter les conditions d’exploitation de leur établissement.
Le recours s’inscrit dans une stratégie de McDonald’s de contester systématiquement les autorisations accordées à ses concurrents en sachant pertinemment que leur recours ne peut pas prospérer.
Le tribunal administratif comme la cour administrative d’appel ont jugé que l’irrecevabilité des demandes était manifeste et absolue.
Cet état de fait n’était pas contesté dans les premières conclusions du 2/12/24.
En maintenant ces recours administratifs qu’elles savaient vouées à l’échec les défenderesses ont abusé de leur droit à agir,pour retarder et dissuader l’installation d’un concurrent.
Ces actions abusives, pour des motifs purement commerciaux et non d’urbanisme, causent un préjudice.
Un recours manifestement irrecevable caractérise l’abus de droit. Un recours rejeté par une ordonnance de tri manifeste et caractérise l’abus. Les défenderesses n’ont pas saisi le Conseil d’Etat acceptant ainsi les décisions du tribunal administratif et de la cour administrative d’ appel qui ne peuvent plus être contestés. Et de toute façon ce débat ne peut être rouvert devant le tribunal de commerce.
La faute et l’abus de droit sont caractérisés.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Les recours administratifs ont délibérément interrompu l’exécution du projet conditionné à des autorisations purgées de tous recours, pendant environ 13 mois.
Les autorisations modificatives sur des points mineurs n’ont pas retardé le projet et ne sont pas déterminantes et n’empêchaient pas la signature du bail. Ces autorisations n’ont d’ailleurs pas été attaquées.
Les demanderesses ont subi un préjudice indépendant de celui de Carrefour Property. Même si le recours administratif des défenderesses n’était pas suspensif du permis de construire, dans les faits personne n’engage des travaux tant que les autorisations ne sont pas définitives.
Les défenderesses soutiennent que le restaurant Burger King ne pouvait être réalisé au regard du P.L.U. La légalité du permis de construire ne peut être discutée devant le tribunal de commerce. La juridiction administrative a mis un terme à ce débat à juste titre car le PLU permet cette implantation. Toute question préjudicielle est inutile.
Sur la perte de redevance
Burger King Restauration aurait dû percevoir, dès le mois de mars 2024, une redevance de location gérance, fixée à 12 % du chiffre d’affaires et une redevance de franchise de 14 %.
Le chiffre d’affaires annuel estimé sur la base du premier mois d’exploitation donne 3.287.663,51 €. C’est donc 427.421€ de redevances de location gérance qui ont été perdu et 498.628 € de franchise, soit 926.029 € au total.
Les recours ont bloqué pendant 13 mois l’opération. La date d’ouverture prévue était réaliste.
Le choix d’un locataire gérant a été retardé du fait des recours. Les autorisations modificatives n’ont en rien gêné le projet.
Une indemnité justifiée de 9.200 € (4.600 € pour chaque société demanderesse) est due. Un préjudice d’image peut être estimé à 15.000 € par chaque concluante.
Outre 10.000 € au titre de l’article 700 du CPC.
La SAS 2 RG Restauration rapide de Guérande et la Sarl Lincoln Park Compagnie répliquent (en synthèse de 23 pages de conclusions, appuyées de 6 pièces) :
Rappelle préalablement le montage du projet et les recours administratifs qu’elles ont intentés, ainsi que la présente procédure.
In limine litis sur l’incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal administratif de Nantes
Le recours des sociétés Burger King est irrecevable en application de l’article L 600-7 du Code de l’urbanisme qui donne compétence au juge administratif pour juger d’un préjudice résultant d’un recours abusif contre un permis de construire et cite l’arrêt de la C.A de Versailles du 25/10/22 à l’appui.
Sur le défaut d’intérêt à agir
Sur la base de l’article 122 du CPC soulève une fin de non-recevoir.
Carrefour Property a en effet déposé une demande de PC modificatif avant l’expiration des conditions suspensives du projet retardant d’autant le début des travaux. Le PC n’est donc devenu définitif qu’en 06/24.
Par ailleurs le bail prévoyait un délai de 12 mois à compter de la date à laquelle le PC était purgé pour réaliser le bâtiment, soit un délai expirant en 06/25.
Les aménagements intérieurs devaient ensuite être réalisés.
La décision de la cour administrative d’ appel est définitive depuis le 29/05/24, avant donc les dernières autorisations administratives.
C’est donc le retard pris par Carrefour Property et les conditions du bail qui sont seules causes du retard.
A titre subsidiaire sur le caractère infondé de la demande
A- Sur l’absence de faute
Les défenderesses ne reconnaissent aucune faute et il n’y a aucun lien de causalité entre fautes et préjudices allégués.
Un recours rejeté ne caractérise pas un abus de droit ou une faute de la part de son auteur. Ce droit de recours est un principe général de droit.
Les demanderesses fondent leur recours sur le seul recours contre le permis de construire et non les autorisations de travaux. Le fait d’être concurrents n’entraîne pas automatiquement l’irrecevabilité de la requête et ne prive pas d’intérêt à agir. La requête ne concernait que les flux de circulation sur la voie communale.
Le caractère abusif d’un recours ne découle pas automatiquement de l’existence d’une décision prise sur le fondement de R 222-1 du Code de l’urbanisme.
Le recours portait sur le PLU et le plan de prévention des risques d’inondation. L’argumentation était sérieuse et non dilatoire. Aucune faute ne peut être retenue.
B- Sur l’absence de lien de causalité entre le recours et les préjudices allégués
L’autorisation de travaux du 15/11/23 et le PC modificatif du 12/12/23 ont été obtenus plus de 9 mois après le permis de construire. Le PC n’est devenu définitif qu’en 06/24. Le bailleur bénéficiait alors d’un délai jusqu’à 06/25 pour livrer le local vide.
La demande de PC modificatif obtenue le 12/12/23 retardait encore l’ouverture. Il n’y a donc aucun lien de causalité entre les recours et les préjudices allégués.
Par ailleurs Burger King Restauration est tiers aux autorisations administratives et n’était pas présente devant les juridictions administratives. Elle a ensuite donné en location-gérance le projet.
Le préjudice commercial allégué n’est donc pas lié aux recours. Elle n’a donc aucun lien entre les préjudices et les recours.
Enfin le recours devant le tribunal administratif n’avait aucun caractère suspensif. Burger King Restauration et Construction doivent donc se tourner vers Carrefour Property qui n’a obtenu ses dernières autorisations que fin 2023 et a tardé à lancer le chantier.
Les demanderesses ne peuvent ignorer que leur projet concerne une parcelle grevée d’une servitude d’urbanisme qui interdit la construction d’un restaurant. Cette question n’a jamais fait l’objet d’un examen par le juge administratif. Le tribunal de commerce n’est pas compétent pour apprécier la légalité d’un acte administratif. Il doit alors surseoir à statuer et interroger le TA dans la cadre d’une question préjudicielle. C’est une obligation. Elles ne peuvent se prévaloir d’un blocage de leur projet qui ne peut se faire.
C- Sur l’absence de préjudice
Burger King Restauration ne peut savoir à compter de quelle date elle espérait exploiter son restaurant.
Elle ne justifie pas avoir signé un contrat de location gérance pour exploiter le fonds.
Le C.A est hypothétique et n’est fondé sur aucun élément comptable ou analyse de marché. Elle ne pouvait espérer une ouverture en mars 24, mais au mieux à fin 2025.
Ce n’est pas aux défenderesses de payer un projet mal pensé.
Sur les frais de conseil, de structure et de temps perdu
Les demanderesses ne démontrent pas les coûts supplémentaires liés aux recours. Les frais annoncés sont ceux de FB Holding qui est une société tierce.
La demande sera rejetée.
Sur le préjudice moral et d’image
La puissance commerciale nationale et internationale de Burger King n’a pas été impactée par les recours. Aucune date d’ouverture n’est encore annoncée. Il n’y a aucune atteinte à l’image démontrée.
La demande sera rejetée.
Sur quoi, le tribunal
Sur la demande des défenderesses au tribunal de commerce de déclarer son incompétence au profit du Tribunal administratif de Nantes
Attendu que l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme prévoit que «lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire … est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis,celui-ci peut demander, par un mémoire distinct au juge administratif saisi du recours, de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts … »
Que la jurisprudence de la Cour de Cassation estime que cette possibilité de recours au juge administratif ne fait pas obstacle au droit civil commun et permet un recours en indemnisation devant le tribunal de commerce, en l’occurrence.
Attendu que l’article L. 600-7 du Code de l’Urbanisme émet une possibilité et non une obligation,
Que la Cour de Cassation, de manière constante, juge que cette possibilité ne prive pas le recours devant le juge civil,
Que cette possibilité administrative n’est de toute façon ouverte qu’au titulaire du permis de construire, en l’espèce Carrefour Property, non présent dans la présente cause,
Que, pour toutes ces raisons cumulées, le recours des constructeurs et exploitants du bâtiment querellé devant le juge commercial, en indemnisation de leur éventuel préjudice causé par ces recours en annulation rejetés, est parfaitement admissible,
Qu’en conséquence, les défenderesses seront déboutées de leur demande de ce chef.
Sur la demande des défenderesses de surseoir à statuer et de saisir le Tribunal administratif de Nantes aux fins qu’il se prononce sur la légalité des autorisations administratives querellées au moyen d’une question préalable
Attendu que cette demande listée in limine litis dans les motifs des défenderesses n’est pas développée in limine litis dans les conclusions n° 2 et récapitulatives de celles-ci, mais à la page 18, noyée dans le chapitre sur l’absence de lien de causalité entre les recours et le préjudice allégué,
Qu’elle serait donc irrecevable,
Que de toute façon, malgré que les défenderesses développent que le projet n’est pas conforme au P.L.U parce que cette question n’a pas été examinée par le juge administratif, la problématique de la conformité ou non du permis de construire au P.L.U est aujourd’hui prescrite, par défaut d’action dans le délai requis,
Que, si le juge commercial n’a pas à trancher la question de conformité du permis de construire, il ne peut non plus se laisser instrumentaliser par une requête en sursis à statuer et interrogation préjudicielle du tribunal administratif, pour contourner la prescription de l’action,
Que la question de la légalité des autorisations administratives a déjà été tranchée, en force de chose jugée, par la juridiction administrative,
Que la question de la conformité du permis de construire au P.L.U est donc également tranchée, faute de recours dans les délais, et a donc aussi force de loi qui s’impose au juge commercial comme aux parties,
Qu’en conséquence la demande ne peut qu’être rejetée.
Sur la demande des défenderesses d’une fin de non-recevoir faute d’intérêt à agir
Attendu que l’article 122 du CPC dispose que : «constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit à agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, …».
Attendu que les défenderesses argumentent que les retards de construction ne sont pas liés aux recours intentés, mais du fait des retards de Carrefour Property dans l’obtention des autorisations d’urbanisme, et donc qu’elles n’ont pas d’intérêt à agir,
Mais que cette argumentation est au cœur même du contentieux soumis à la décision du juge commercial,
Qu’elle ne démontre donc pas son irrecevabilité,
Qu’en conséquence elle ne peut également qu’être rejetée.
Sur la demande des sociétés Burger King Restauration et Construction de juger que les recours des sociétés 2RG et Lincoln Park contre le permis de contruire du l/03/23 et les autorisations ERP des 28/12/22 et,07/01/23 délivrés à Carrefour Property. Constituent un abus du droit d’agir en justice
Attendu que la jurisprudence constante du Conseil d’Etat précise que le recours en annulation d’autorisations administratives de construire un établissement commercial est ouvert lorsque les caractéristiques de la construction sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d’exploitation du requérant, et pas lorsqu’il s’agit de motivations tirées de seuls éléments concurrentiels,
Que sur cette base, les présidents de tribunaux administratifs peuvent rejeter par simple ordonnance les requêtes manifestement irrecevables, sans besoin d’un débat contradictoire,
Que tel a été le cas devant le Tribunal administratif de Nantes qui a rejeté immédiatement le recours le 04/12/23 et la Cour administrative d’ appel le 28/03/24, pour défaut de fondement,
Que ces décisions n’ont pas fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat, et ont donc l’autorité de la chose jugée.
Attendu que le recours devant le juge administratif est un principe général du droit,
Mais que constitue un abus du droit à agir, une demande en justice manifestement irrecevable, parce que la partie ne pouvait ignorer qu’elle ne pouvait obtenir gain de cause, en motivant sa demande par des arguments contraires à la loi et à sa jurisprudence constante,
Que le juge doit rechercher si cette partie pouvait légitiment ou non penser qu’elle obtiendrait gain de cause et doit caractériser les circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit d’agir,
Attendu en l’espèce que si la qualité de concurrent proche d’un établissement commercial faisant l’objet d’un recours en annulation de ses autorisations administratives de construire n’est pas en soi un motif de défaut à agir, il en est différemment lorsque le recours ne justifie pas en quoi les autorisations attaquées lui feraient grief et porteraient atteinte à ses propres conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien, dans des conditions justifiant un intérêt à agir,
Que le juge administratif a demandé par deux fois aux défenderesses de mieux motiver leurs demandes,
Que, tant le juge administratif que ceux de la Cour administrative d’appel ont constaté que les défenderesses ne justifiaient pas de leur droit et intérêt à agir,
Que tout débat sur la mauvaise interprétation des juges administratifs est maintenant irrecevable, faute de recours devant le Conseil d’Etat et de l’autorité de la chose jugée.
Qu’en s’acharnant dans une argumentation qu’elles savaient vaines, compte tenu des demandes non satisfaites de précision du juge administratif, de sa décision de rejet immédiat dès l’ordonnance de tri, puis de réitération en toute connaissance de cause des mêmes motivations devant le juge d’appel, les défenderesses, faute de pouvoir développer des moyens recevables,
qu’elles ne pouvaient ignorer au regard de la qualité de leurs Conseils, avisés et expérimentés, démontrent de manière abondante qu’elles savaient leurs recours irrecevables en droit mais qu’elles ont persisté afin de gêner et retarder au maximum la construction de leur concurrent proche, caractérisant ainsi l’abus du droit à agir.
Qu’en conséquence le juge commercial retiendra l’abus du droit d’agir en justice dont se sont rendues coupables les défenderesses.
Sur la demande des sociétés Burger King Restauration et Construction de juger que les recours des sociétés 2RG et Lincoln Park contre le permis de contruire du l/03/23 et les autorisations ERP des 28/12/22 et,07/01/23 délivrés à Carrefour Property sont la cause directe d’un préjudice certain
Attendu que l’article 1240 du Code civil énonce «que tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par sa faute duquel il est arrivé à le réparer».
Que cette responsabilité suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.
Attendu que la faute des défenderesses, qui ont abusé de leur droit à agir contre les autorisations administratives de construire, est retenue par le tribunal,
Qu’il convient donc d’examiner la réalité du préjudice et du lien de causalité.
Attendu en l’espèce que des recours abusifs causent nécessairement un préjudice à ceux qui en ont été victimes,
Que le quantum de ce préjudice sera examiné plus loin;
Attendu dans les faits de l’espèce, qu’il convient de retracer afin d’examiner précisément si ces recours ont ou non retardé le projet contesté, et si oui de combien.
Que les sociétés Burger King Construction et Restauration signent le 13/01/23 avec Carrefour Property un bail commercial en l’état futur d’achèvement, sous condition suspensive d’un permis de construire purgé de tous recours. Carrefour construit le bâtiment, Burger King Construction aménage le restaurant et Burger King Restauration crée le fonds de commerce et le donne en location gérance. L’ouverture est prévue le 1/03/24.
28/12/22: une première autorisation administrative est donnée au titre des ERP pour la coque brute et les aménagements extérieurs.
07/01/23: une deuxième autorisation administrative est donnée au titre des ERP pour les aménagements intérieurs.
01/03/23 : un permis de construire est accordé à Carrefour Property.
28/04/23 : Les sociétés 2RG ET Lincoln Park saisissent le maire de Guérande d’un recours gracieux contre les trois autorisations administratives.
29/06/23 : la commune rejette le recours.
25/09/23 : elles saisissent le Tribunal administratif de Nantes d’un recours en annulation des autorisations administratives,
15/11/23 : nouvelle autorisation municipale de travaux.
12/12/23 : permis de construire modificatif, affiché en 06/24.
04/12/23 : le tribunal administratif rejette la requête dans son ordonnance de tri en raison de son irrecevabilité manifeste.
02/02/24: elles saisissent la Cour administrative d’appel de Nantes.
28/03/24 : la Cour administrative d’appel rejette l’appel dans son ordonnance de tri pour irrecevabilité manifeste faute d’intérêt à agir.
03/06/24: les sociétés Burger King conviennent avec Carrefour Property de proroger la date de réalisation des conditions suspensives du 13/01/23 au 30/09/25.
Que le bail signé avec Carrefour Property comportait une clause suspensive d’obtention des autorisations administratives définitives, exemptes de tout recours.
Qu’aucun bailleur ou constructeur sérieux n’engage des travaux importants alors que des recours sont en cours d’examen,
Qu’ainsi le projet a nécessairement été gelé du 28/04/23 (recours gracieux devant le Maire) au 28/05/24 (rejet par la Cour administrative d’appel du recours en annulation, et fin du délai de pourvoi devant le C.E), soit pendant 13 mois.
Que les défenderesses excipent d’un permis modificatif pour justifier du retard des travaux, Mais qu’il est justifié que ce permis ne concernait que des modifications mineures au projet (supprimer un auvent, modifier une pergola, préciser les modalités de branchement au réseau d’eaux pluviales et déplacer quelques arbres).
Que ces modifications, souvent demandées en cours de travaux afin de préciser des éléments non visés initialement, ne peuvent expliquer un retard significatif de l’essentiel des travaux, et, de toute façon n’annulent pas le permis initial, et ne peuvent suspendre le bail en l’état futur d’achèvement,
Que les sociétés défenderesses déduisent du fait que les sociétés demanderesses n’étaient pas parties aux recours administratifs, qu’elles ne subissent aucun préjudice commercial car elles ne sont pas les exploitantes du restaurant,
Mais qu’il est incontestable que les recours des défenderesses ont gelé le projet qu’elles tenaient et leur ont causé un préjudice direct de perte de redevances, distinct et complémentaire de celui de Carrefour Property et du futur locataire gérant,
Que le tribunal estimera donc que les recours des sociétés 2RG et Lincoln Park sont la cause directe d’un préjudice certain causé aux sociétés Burger King Construction et Restauration.
Sur le quantum des demandes indemnitaires en réparation à hauteur de 945.629 € pour la perte de redevances à Burger King (BK) Restauration
Attendu qu’une demande indemnitaire doit être certaine et justifiée dans son quantum,
Que les demanderesses font débuter à mars 24 la date à laquelle Burger King aurait pu percevoir des redevances de location gérance (pour 427.401 €), et de franchise (pour 498.628 €) et chiffrent leur perte en extrapolant le chiffre d’affaires généré de mai à juin 2025,
Qu’elles justifient de leur calcul par une attestation de leur directeur financier qui établit un CA prévisionnel annuel de 2,4 M€
Qu’elles expliquent savoir aménager en quelques mois un restaurant que les recours abusifs ont gelé pendant 13 mois, que le P.C modificatif est mineur et n’a retardé en rien les travaux et que la signature d’un contrat de location gérance était en cours,
Que si le restaurant a été ouvert le 07/05/25, comme affirmé dans les écritures en demande, c’est donc avec 14 mois de retard sur le prévisionnel, ce qui est cohérent avec les 13 mois de retard générés par les recours
Mais que l’attestation présentée n’est qu’une preuve apportée à soi-même, n’ayant au mieux qu’une valeur indicative, soumise à l’appréciation du tribunal, mais vraisemblable en raison des chiffres connus du tribunal sur la région,
Que si le restaurant a été ouvert le 07/05/25, le C.A des mois de mai à juin 2025, compte tenu de la forte saisonnalité des ventes dans la région de Guérande-La Baule, ne peut être extrapolé sur l’année. D’ailleurs si les écritures partent sur 3,387 M€ de C.A annuel, l’attestation du D.A.F ne retient lui que 2,4 M€ «prévisionnels».
Que si les écritures retiennent 12 % de redevance de location gérance, l’attestation du D.A.F n’en prévoit que 11 %,
Que si les écritures retiennent 14 % pour les redevances de franchises, le DAF n’en prévoit lui que 9 %,
Que, si les défenderesses contestent l’argumentation des demanderesses, elles ne contestent pas les calculs de demandes,
Qu’en conséquence le tribunal retiendra les chiffres avancés par le D.A.F de Burger King et allouera (2 400 000€x12% =264 000€/12moisx13 mois =) 286 000€ au titre de la perte de redevance de location gérance et (2 400 000 €x9%=216 000 €/12 moisx13 mois =) 234 000 € au titre de la perte de redevance de franchise à Burger King, soit un total de 520 000 € et y condamnera solidairement les sociétés 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie.
Sur les demandes indemnitaires en réparation du préjudice de frais de conseils, de structure et de temps perdu par les société BK Construction et
Attendu que les sociétés requérantes demandent 4.600 € chacune au titre des frais de conseil, de structure et de temps perdus par leurs services,
Mais que ces frais ne sont attestés que pour leur holding FB, qui n’est pas dans la cause,
Qu’en conséquence cette demande sera rejetée.
Sur les demandes indemnitaires en réparation du préjudice d’image et moral des sociétés demanderesses
Attendu que les sociétés requérantes demandent 15.000 € chacune au titre du préjudice de confiance que le retard a apporté dans leurs relations avec les clients et tiers,
Mais qu’il ne suffit pas d’affirmer, sans le moindre commencement de preuve, et d’apprécier un quantum totalement estimé, sans élément comptable à l’appui,
Qu’en conséquence cette demande sera rejetée.
Sur l’article 700 du Code.de procédure civile
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Burger King Restauration et Burger King Construction, la totalité des frais irrépétibles qu’elles ont dû exposer pour faire valoir leurs droits en justice ;
Qu’en conséquence, 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie seront condamnées in solidum à leur payer chacune la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
Sur les dépens
Attendu que les entiers dépens de la présente instance seront mis à la charge de 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie qui succomberont en l’instance.
Par ces motifs
Après en avoir délibéré, le tribunal statuant par jugement public, contradictoire, en premier ressort
– Déboute 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie de leur demande au tribunal de commerce de Saint-Nazaire de se déclarer incompétent au profit du Tribunal administratif de Nantes,
– Déboute 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie de leur demande de surseoir à statuer et de saisir le Tribunal administratif de Nantes d’une question préjudicielle,
– Déboute 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie de leur demande d’une fin de non-recevoir faute d’intérêt des sociétés Burger King Construction et Burger King Restauration à agir,
– Juge que les sociétés 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie ont commis un abus du droit d’agir en justice devant le juge administratif, contre les autorisations administratives délivrées par la mairie de Guérande pour un projet de restaurant rapide sis à Guérande,
– Juge que les recours des sociétés 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie contre les autorisations délivrées par la mairie de Guérande sont la cause directe d’un préjudice certain subi par les sociétés Burger King Construction et Restauration,
– Fixe le préjudice subi par la société Burger King Construction Restauration à 286.000 € au titre de la perte de redevance de location gérance et de 234.000 € au titre de la perte de redevance de franchise,
– Condamne en conséquence solidairement les sociétés 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie à verser 520.000 € à la société Burger King Restauration en lui rappelant que la condamnation est de droit, sans dispense d’exécution provisoire,
– Déboute les sociétés Burger King Construction et Burger King Restauration de leurs demandes au titre des frais de conseils, de structure et de temps perdu, et de préjudice d’image et moral,
– Condamne solidairement 2G Restauration Rapide de Guérande et Lincoln Park Compagnie à verser 5.000 € à Burger King Construction et 5.000 € à Burger King Restauration au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens de l’instance,
– Liquide les frais de greffe à la somme de cent quatre euros trente-deux centimes dont Tva dix-sept euros trente-neuf centimes.
