Pour la Cour de cassation, la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a pas tiré les conséquences de ses constatations : le franchisé s’était en effet livré à une prospection ciblée sur la clientèle située dans le territoire du franchisé voisin. Peu importait qu’elle ne vise pas spécifiquement celle-ci. Cela n’interdit pas à l’un ou à l’autre de vendre à qui bon lui semble, d’où qu’il vienne : la concurrence entre indépendants est la règle. Mais démarcher activement la chalandise d’à côté, ça, ça ne marche pas !
Par Me Rémi de Balmann (D, M & D), avocat à la cour d’appel de Paris, membre du collège des experts de la Fédération française de la Franchise (Fff)
Deux franchisés voisins exploitaient leur salle de sport dans des communes distantes de quelques kilomètres. La concorde aurait dû régner entre eux, chacun bénéficiant d’une exclusivité territoriale et l’un comme l’autre s’étant engagés à respecter la déontologie interne au réseau. A ce titre, chaque franchisé était tenu vis-à-vis des autres franchisés de respecter la zone de commercialisation qui lui était attribuée. Un des deux franchisés décidait cependant de démarcher en dehors de son territoire d’exclusivité en diffusant notamment des prospectus dans l’ensemble des boîtes aux lettres de la zone dans laquelle le franchisé voisin était installé.
Pour le président du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence saisi en référé, ces agissements étaient déloyaux et devaient cesser sous astreinte. Pour la cour d’appel du même lieu, en revanche, rien ne pouvait être reproché à ce franchisé dès lors que «le prospectus se limite à indiquer l’adresse de la société (franchisée) et ses tarifs, sans élément de comparaison avec la société (intimée)». Et le démarchage n’aurait été fautif que s’il s’était agi d’un «démarchage ciblé et individuel, répété, à destination spécifique de la clientèle de la société (intimée)».
C’était oublier que deux franchisés d’un même réseau ne sont pas des concurrents lambda et qu’on ne pouvait – comme le faisait la cour d’appel – écarter «le fait que ce démarchage a été réalisé sur le territoire de franchise (du voisin)». Ainsi donc et sauf à faire naître la zizanie dans les réseaux, chaque franchisé doit s’interdire d’aller prospecter le territoire d’un autre.
C’est ce qu’a jugé la chambre commerciale de la Cour de Cassation (1). Ainsi et par arrêt du 4 décembre 2024, elle a reproché à la cour d’appel d’Aix-en-Provence de n’avoir pas tiré les conséquences légales de ses constatations, le franchisé s’étant livré à «une prospection ciblée sur la clientèle située dans le territoire (du voisin), peu important qu’elle ne vise pas spécifiquement la clientèle (dudit voisin)».
Un franchisé se rend donc bel et bien coupable de concurrence déloyale en tentant d’aller «siphonner» la clientèle potentielle du franchisé d’à côté. Et le franchiseur se doit de veiller au respect des limites territoriales des zones qu’il octroie à chacun.
Certes, il n’est pas interdit à un client de s’adresser au franchisé de son choix et un consommateur n’est pas «rattaché» à un territoire donné. Ainsi et dans un litige ayant conduit à un arrêt de la cour d’appel de Rennes en date du 19 octobre 2010, il a été jugé que «la clause du contrat de franchise stipulant que “le franchisé s’engage à ne pas réaliser d’action de commercialisation active hors de son territoire, et ce pour protéger les concessions territoriales de ses collègues franchisés Temporis” ne prohibe que la prospection de clients à l’intérieur du territoire exclusif d’un autre membre mais ne pouvait interdire, sauf à violer la législation applicable en matière de prohibition des ententes, des prestations tendant à satisfaire des demandes non sollicitées émanant de clients individuels» (CA Rennes, 19 oct. 2010, RG 09/05428).
On retrouve là la distinction entre ventes actives et ventes passives introduite dans le règlement d’exemption (CE n° 2790/1999) et redéfinie dans le nouveau Règlement d’exemption (UE) n° 2022/720. On entend par «ventes actives» le ciblage de clients par des visites, des lettres, des courriers électroniques, des appels ou d’autres moyens de communication directe ou par le biais de publicité et de promotion ciblées, hors ligne ou en ligne.
Il s’agit, par exemple, de démarchage fait au moyen de médias papier ou numériques, y compris les médias en ligne, les services de comparaison de prix ou la publicité sur les moteurs de recherche ciblant des clients sur des territoires précis ou appartenant à des groupes de clients spécifiques. Mais aussi de l’exploitation d’un site Internet dont le domaine de premier niveau correspond à des territoires spécifiques, ou le fait de proposer sur un site des langues communément utilisées sur des territoires spécifiques, lorsque ces langues sont différentes de celles communément utilisées sur le territoire sur lequel l’acheteur est établi.
Sont en revanche considérées comme «ventes passives» celles faisant suite à des demandes spontanées de clients individuels, y compris la livraison de biens ou de services au client sans que la vente ait été initiée par le ciblage actif du client, du groupe de clients ou du territoire spé-cif i que, et incluant des ventes résultant de la participation à des marchés publics ou répondant à des procédures de passation de marchés privés.
C’est au prix de cette distinction qu’est préservé l’intérêt supérieur des réseaux.
Notes
1. Cour de Cassation, 4 décembre 2024, N° 23-17.908
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 décembre 2024 N° 23-17.908
