Lorsqu’un local commercial est détruit, l’article 1722 du Code civil permet au bailleur comme au locataire de mettre fin au bail sans indemnisation. Une solution séduisante, mais qui repose sur deux conditions cumulatives : l’existence d’une cause «fortuite» et la «destruction» totale ou partielle de «la chose louée». Mais l’affaire est rarement simple. Car elle implique que l’impossibilité d’exploiter soit absolue et définitive, qu’aucune faute (même partielle), ne puisse être imputée au bailleur ou au locataire. Cette rigueur n’est pas sans rappeler l’exception d’inexécution : le mauvais état de l’immeuble, y compris à dire d’expert, ne peut justifier le non-paiement des loyers… dès lors que l’exploitation a pu être poursuivie.
Par Me Jean-Marc Noyer, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Noyer)
Lorsqu’un local commercial est détruit totalement ou partiellement, l’article 1722 du Code civil offre la possibilité de résilier le bail commercial sans devoir verser d’indemnité. Dans le premier cas, la résiliation est de plein droit. Cela signifie donc que le juge n’a aucun pouvoir d’appréciation. Dans le second, le preneur seul a le choix d’opter pour une diminution du prix ou la résiliation. Ici, la résiliation n’est pas automatique. Toutefois, deux conditions cumulatives doivent être remplies : une véritable «destruction» de la chose louée et un «cas fortuit» à l’origine de celle-ci.
La jurisprudence a élargi la notion de «destruction» au-delà de la simple disparition physique des lieux. Elle reconnaît deux autres situations équivalentes :
– L’impossibilité d’user des locaux conformément à leur destination contractuelle ;
– Des travaux de réparation dont le coût excède la valeur vénale du bien.
Selon la cour d’appel de Paris (19 septembre 2024, RG n° 22/14224) la destruction doit même être «absolue et définitive», formule qui n’est pas mentionnée dans l’article et qui, à la connaissance de l’auteur, n’avait jamais été employée par une autre décision auparavant.
Dans cette affaire, une société locataire avait considéré que son bail commercial devait être résilié suite à la contamination à l’amiante des locaux loués, contamination résultant d’un incendie du bâtiment voisin. La preneuse estimait donc se situer dans un cas de destruction totale devant entraîner la résiliation de plein droit.
Par jugement du 23 juin 2022, le tribunal judiciaire d’Evry a prononcé la résiliation anticipée du bail. La cour d’appel de Paris a toutefois infirmé cette décision en insistant sur le fait que :
– la destruction totale, au sens de l’article 1722 du Code civil, suppose l’impossibilité «absolue et définitive» d’user de la chose louée conformément à sa destination ;
– la destruction partielle implique la nécessité d’effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose.
Dans cette affaire, la locataire n’a pas pu accéder aux locaux durant quatre mois, durée du chantier engagé par le bailleur. La cour parisienne a néanmoins estimé que cela était insuffisant pour caractériser une destruction totale. Celle-ci ajoute que le coût des travaux (50.000 €) était bien inférieur à la valeur vénale du bâtiment (430.000 €). De ce fait, elle estime que la locataire ne pouvait solliciter la résiliation de son bail puisqu’il n’y avait ni destruction partielle, ni destruction totale.
De ce fait, la preneuse a été condamnée à régler les loyers dus.
L’incendie est l’exemple type du «cas fortuit», même si cela n’est pas automatique ; notamment s’il existe une faute du preneur ou du bailleur ayant déclenché l’incendie. Un arrêt récent de la Cour de cassation (9 janvier 2025, RG 23-16.698) illustre la rigueur de cette condition. Dans cette affaire, un hôtel-restaurant a dû fermer suite à d’importants désordres structurels. Un expert judiciaire a été désigné et celui-ci a révélé que les dommages étaient dus à :
– Une conception structurelle d’époque inadaptée (cause prépondérante) ;
– La vétusté aggravée par un défaut d’entretien imputable au bailleur.
A l’appui du rapport, la cour d’appel de Caen (CA Caen – 23 mars 2023 RG n° 19/03136) a constaté la résiliation de plein droit du bail concernant l’hôtel-restaurant en estimant que le «cas fortuit» visé à l’article 1722 du Code civil était ici caractérisé. La Cour de cassation a toutefois censuré cette décision. Elle considère que la cour d’appel ne pouvait statuer de la sorte, alors même que l’expert affirme explicitement que la dégradation est due, partiellement, à un défaut d’entretien imputable au bailleur.
Ainsi, dans l’hypothèse où les désordres sont causés, même en partie, par une faute du locataire ou du bailleur, la résiliation du bail ne peut être prononcée quand bien même la chose louée aurait été détruite. Pour invoquer efficacement l’article 1722 du Code civil, il est donc indispensable de vérifier la nature et l’étendue de la destruction, l’absence totale de faute du bailleur ou du preneur et enfin le caractère insurmontable et extérieur de l’événement destructeur.
On peut également citer le mécanisme de l’exception d’inexécution qui est lui aussi particulièrement complexe à manier. En atteste la récente décision de la Haute juridiction du 10 octobre 2024 : la société locataire estimait ne pas devoir payer ses loyers en raison du mauvais état de l’immeuble. Au cours de la procédure, l’expert judiciaire désigné a effectivement souligné l’état de vétusté de la façade et de la couverture de l’immeuble.
De ce fait, la preneuse sollicitait une dispense intégrale (et non partielle) du paiement du loyer sur le fondement de l’exception d’inexécution et plus précisément en insistant sur le manquement du bailleur à ses obligations d’entretien et de réparation. La cour d’appel, dont le raisonnement a été validé par la Cassation, a rejeté cette demande au motif que la locataire avait été en mesure d’exploiter et d’occuper les locaux malgré la vétusté constatée.
Autrement dit, si un locataire ne se trouve pas dans l’impossibilité totale d’exercer son activité, l’exception d’inexécution pour manquement du bailleur à ses obligations d’entretien et de réparation ne peut être mise en avant pour obtenir une dispense intégrale du paiement des loyers. Tant le bailleur que le preneur disposent souvent de plusieurs fondements lorsqu’il s’agit de défendre leurs droits, mais dans ce foisonnement de mécanismes, l’important n’est pas d’avoir plusieurs armes, mais bien de savoir choisir la bonne.
