Une décision du 13 juin 2024 (Cass. Civ. 3e, n° 23-13.728) rejette le pourvoi d’un commerçant d’Orléans qui se plaignait d’avoir été écarté du bénéfice du droit de préférence. Le malheureux propriétaire n’y était pas pour grand-chose : poursuivit aux fins de saisie immobilière, il avait obtenu l’autorisation d’un juge de l’exécution de vente amiable de son bien… Cette énième échappatoire à l’un des dispositifs phares de la loi Pinel, met en lumière le bilan mitigé de celle-ci.
Par Me Benjamin Major, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Benjamin Major)
Le droit de préférence du preneur, une des mesures phare de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, fêtera le 18 décembre 2024 les dix ans de son entrée en vigueur (article L. 145-46-1 du Code de commerce).
Le dispositif a été mis en place pour préserver le commerce et l’artisanat notamment en centre-ville.
Il contraint le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal, qui envisage de le vendre, à proposer son acquisition au locataire en place en priorité. Le but est de permettre au preneur de poursuivre son activité dans de bonnes conditions économiques, sans nuire aux intérêts du bailleur.
Une jurisprudence abondante
Le droit de préférence fait l’objet d’une jurisprudence fournie qui a permis d’affiner le dispositif. La Cour de cassation a notamment confirmé que le dispositif était d’ordre public alors même que le législateur ne l’avait pas prévu expressément (Cass. Civ. 3e , 28 juin 2018, n° 17-14.605). En conséquence, les parties ne peuvent insérer au bail des stipulations écartant le droit de préférence.
Cette confirmation était attendue dans la mesure où le dispositif avait été mis en place pour rééquilibrer les rapports locatifs. Il était logique que les parties ne puissent y déroger.
Toutefois, l’article L. 145-46-1 du Code de commerce prévoit plusieurs exceptions à l’application du dispositif qui en ont limité la portée.
A titre d’exemple, le droit de préférence ne s’applique pas dans l’hypothèse de la cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial ou de la cession unique de locaux commerciaux distincts, ce qui empêche de nombreux locataires de pouvoir en bénéficier notamment en centre commercial.
Certaines décisions ont également écarté le bénéfice du dispositif en cas de cession de l’intégralité des parts de la société bailleresse (Cour d’appel de Paris, Pôle 1 -chambre 3, 24 octobre 2018, n° 18/07660), dans le cas d’une vente judiciaire suite à une saisie immobilière (Cass., Civ. 3e , 30 novembre 2023, n° 22-17.505) ou dans l’hypothèse d’une vente de gré à gré d’un actif immobilier dépendant d’une liquidation judiciaire (Cass., Com., 23 mars 2022, n° 20-19.174 et Cass., Civ. 3e , 15 février 2023, n° 21-16.475).
Des avantages pour le preneur
Le droit de préférence a un intérêt certain pour les preneurs qui souhaitent se constituer un patrimoine immobilier et cesser de subir la rigidité et les aléas de la relation bailleur-preneur (destination limitée, sous-location interdite, indexation ou révision du loyer, risque d’une hausse du loyer lors du renouvellement et augmentation du montant des charges, etc.). Il a également été constaté que le dispositif pouvait être intéressant pour les preneurs qui anticipent leur retraite ou un arrêt d’activité.
En outre, il permet au locataire de bénéficier, dans certains cas, d’un prix d’acquisition favorable, si le loyer est faible, et d’acquérir un bien sans avoir à supporter des honoraires d’agent immobilier qui ne peuvent être inclus dans l’offre notifiée par le bailleur (Cass., Civ. 3e , 28 juin 2018, n° 17-14.605 ; Cass., Civ. 3e , 23 septembre 2021, n° 20-17.799).
Pas de miracle
Ceci ayant été rappelé, le droit de préférence n’a cependant pas été la recette miracle permettant de protéger le commerce et l’artisanat. En effet, il n’est pas aisé de trouver un financement en quelques semaines seulement et dans un contexte de hausse des taux d’intérêts et de resserrement du marché du crédit.
Or, le défaut de réalisation de la vente dans les délais légaux (deux mois à compter de la date d’envoi de la réponse du preneur au bailleur ou quatre mois s’il notifie son intention de recourir à un prêt) prive d’effet l’acceptation de l’offre (Cass., Civ. 3e , 24 novembre 2021, n° 20-16.238). Une difficulté revient également régulièrement : l’impossibilité pour le locataire bénéficiaire du droit de préférence d’être substitué par un autre acquéreur.
Certains locataires qui n’ont pas la possibilité ou la volonté d’acquérir les locaux (notamment pour des problématiques d’organisation) aimeraient pouvoir permettre à un proche de le faire (Sci familiale, société du même groupe, actionnaire, tiers de confiance) et ce notamment afin de faciliter la poursuite de leur bail. Or, le droit de préférence est personnel (réponse ministérielle 22 avril 2021, n° 21155) et seul le locataire peut en profiter.
Par ailleurs, dans un contexte économique fragile avec des perspectives de valeurs locatives à la baisse dans certaines zones, le dispositif apparaît moins pertinent pour préserver le commerce et l’artisanat.
Surtout qu’en devenant propriétaire des locaux, le preneur est contraint de prendre à sa charge, à compter de la vente, l’intégralité des grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil, alors même que le décret d’application de la loi Pinel a justement prévu que les dépenses relatives auxdites réparations ne peuvent être imputées au preneur dans le cadre d’un bail commercial.
Quand bien même le dispositif a pu profiter à certains preneurs, il est loin d’avoir résolu les difficultés que peuvent rencontrer de nombreux commerçants et artisans. Les pouvoirs publics devront trouver d’autres leviers s’ils veulent préserver le commerce et l’artisanat.


