Le commerce est devenu un acteur principal pour la structuration des villes. Mais les déboires de Marks&Spencer en 2001 et 2016 sont restés dans la mémoire de certains maires, certaines foncières, certains agents immobiliers. Applaudies quand elles arrivent, ces grandes enseignes étrangères qui refusent le plus souvent les standards du bail à la française, laissent des traces après leur départ : en particulier une majoration des valeurs locatives et des piles de contentieux comme on l’a vu ces dernières années – et que la crise remet au goût du jour…
Par Me Anne-Cécile Lemaire, avocate au barreau de Paris (H.B. & Associés)
De nombreuses sociétés de distribution étrangères se sont implantées en France. Il est certain que le commerce français reste un lieu majeur pour tous les réseaux commerciaux. Cependant, il existe un reflux et les fermetures de ces enseignes étrangères deviennent très importantes.
Pourtant, ces sociétés ont toujours été accueillies avec beaucoup de bienveillance par les sociétés bailleresses, les médias, mais également par les consommateurs. Force est de constater qu’à ce jour, l’implantation durable dans l’Hexagone de ces concepts n’est nécessairement pas une vertu pour ce type de société.
Ainsi, Marks&Spencer, Pc City, Costa Coffe, Ovs ou Forever 21 ont quitté le marché français. Heureusement, certaines semblent s’attacher au bon vivre français telles que Zara, H&M ou même encore plus récemment, Primark. Les motifs de ces départs peuvent être multiples. Les enseignes étrangères ne s’intéressent plus uniquement, comme ce fut le cas il n’y a pas si longtemps, à l’implantation d’un flagship constituant une vitrine de la marque, sur les Champs-Elysées par exemple, mais bien à une rentabilité. Il convient donc d’avoir une analyse aussi bien au regard du bilan (valeur d’actif) qu’au regard du compte de résultat (EBE).
I. Le droit au bail et la valeur d’actif
1. L a spécificité du bail commercial en France
– Un poste d’actif pour le locataire En France, depuis le décret de 1953, le droit au bail est valorisé comptablement puisqu’il s’agit de la différence entre le loyer effectivement payé et la valeur locative de marché pour un nouvel entrant. Les dispositions du Code de commerce d’ordre public, prévoient le droit au renouvellement du bail, ce qui diffère de nombre de pays où le bail a une durée fixe, le locataire devant quitter les locaux loués à l’issue de la période fixée, sans pouvoir prétendre à une indemnité quelconque ou à un renouvellement.
– Un actif circulant Il est toutefois possible pour un utilisateur, au regard des règles édictées par les articles L. 145 et suivants, de céder son droit au bail avec l’agrément du bailleur, ou son fonds de commerce ou même encore les parts de sa société, transférant ainsi ledit droit au bail.
Qui plus est, en cas de congé sans offre de renouvellement signifié par le bailleur, ce dernier doit régler l’indemnité d’éviction représentant la perte du fonds de commerce pour le locataire et intégrant la valeur du droit au bail.
2. Les sociétés étrangères prennent à bail sans droit d’entrée ni keymoney
– Un loyer pur
Lors des prises à bail, les sociétés étrangères, le plus souvent, n’aiment pas payer un droit d’entrée, encore moins racheter un fonds de commerce. Aussi, le schéma adopté par les bailleurs est nécessairement la résiliation du bail du prédécesseur avec pour conséquence un loyer qui intègre le paiement de cette résiliation. La conséquence immédiate et inexorable devient une augmentation de la valeur locative.
Pour les autres locataires qui font l’objet d’un congé refus avec le paiement d’une indemnité d’éviction, les bailleurs utilisent en référence la valeur locative acceptée par les sociétés étrangères pour comparer le loyer payé et ainsi se constituer un droit au bail, lequel est retenu pour la détermination de la valeur dans le cadre d’une indemnité d’éviction.
Ainsi, artificiellement, mais tout à fait logiquement, les loyers et la valeur locative de marché ont été augmentés. La direction générale des impôts est cependant parfois intervenue pour requalifier certaines opérations et elle a été amenée à refuser une partie de la déduction du loyer en considérant que ce nouveau loyer intégrait un droit d’entrée.
– Le loyer pur exclut la révision de l’article L. 145-38
Par ailleurs, les sociétés étrangères, en acceptant de régler des loyers purs très élevés, ont perturbé le fonctionnement de la révision judiciaire prévue à l’article L. 145-38 du Code de commerce. Les bailleurs ont la faculté de faire valoir ces loyers en référence pour empêcher une baisse au profit des commerçants environnants.
De plus, lors de la sortie de ces baux, il y a nécessairement une négociation ou un contentieux qui s’engage concernant l’état de restitution desdits locaux qui devient pour les bailleurs un nouveau moyen de pouvoir récupérer le droit d’entrée qu’ils n’auront plus de la part d’un nouvel entrant.
II. L’Ebe comme réponse au quotidien
1. La comptabilité prime sur le droit
– Un retour sur investissement (Roi) de très courte durée
Le refus de constituer un actif pour ces sociétés est présidé par le fait que la comptabilité est intégrée dans les holdings. En conséquence, il n’y a pas réellement de valorisation du fonds de commerce. Le résultat effectif du point de vente est l’unique référence pour l’opérateur étranger et non la constitution d’un actif.
– Un réel avantage pour le bailleur
Lorsque la comptabilité est préférée au droit, le bailleur y trouve son intérêt, puisqu’il bénéficiera la plupart du temps d’un loyer assuré pendant 6 ans (durée ferme) et qu’il pourra ainsi profiter d’une indemnisation lors de la sortie du preneur pour remise en état des locaux, sujet de nombre de contentieux ces dernières années.
2. Une distorsion pour l’application des éléments stricts de droit du bail commercial
– L’empreinte et le commerce, la durée, le personnel, le stock, les fournisseurs
Dans tous les secteurs, et notamment dans l’industrie, il est certain que les communes qui ont accompagné les structures étrangères, en cas de départ, entendent obtenir restitution des sommes allouées ou des accompagnements pour les salariés licenciés. Dès lors, il est certain que les nouvelles enseignes qui s’implantent en fanfare avec des loyers gratuits pendant une certaine période et qui repartent en abandonnant le personnel, les fournisseurs ou tout autre opérateur, font dorénavant l’objet de beaucoup de réticence. Certains baux prévoient des pénalités fortes en cas de retrait de ces enseignes avec des garanties bancaires ou de maison mère particulièrement solides.
– Le cœur de ville
Il est indéniable que le commerce est devenu un acteur principal pour la structuration des villes. Leur pouvoir a été renforcé et notamment par les autorisations de travaux, les permis de construire, ou même les autorisations de livraison. Les déboires de Marks& Spencer il y a plus de 10 ans sont restés dans la mémoire de certains maires, certaines foncières, certains agents immobiliers.
Peut-être qu’il nous appartient à tous de conseiller au mieux ces enseignes étrangères afin d’éviter des perturbations sur notre bail commercial bien-aimé, tout autant au regard des structures qui les auront accompagnées.
