Que l’affaire se passe à Ajaccio, corse évidemment les choses… Mais le fait est que les contestations permises par la rigueur approximative de la Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac) en matière de convocation, fait peser sur les dossiers d’autorisation d’exploitation commerciale (Aec) un risque de plus – dont les requérants et leurs conseils se passeraient bien. Les hésitations actuelles des juridictions administratives sur les conséquences de ces manquements compliquent encore les choses, même si elles se montrent pragmatiques considérant tout de même que : faut pas pousser !
Par Me Marie-Anne Renaux, avocate-associée (Wilhelm&Associés)
A la fin du mois d’août 2023, la Corse a mobilisé l’attention des acteurs de l’immobilier commercial pour des motifs tout autres que leurs préoccupations estivales.
En effet, à cette date, le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi exercé par des concurrents du centre commercial E. Leclerc, exploité sur la commune de Sarrola-Carcopino, a prononcé l’annulation de deux arrêtés de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale accordés en 2016, pour l’extension de cet ensemble immobilier. Il a considéré que les contestations formulées sur l’absence de justification par la Cnac de la réception effective par ses membres des convocations et des documents visés par l’article R. 752-35 du Code de commerce, dans le délai de 5 jours avant l’examen de ce projet, étaient fondées. Et ce, après avoir estimé que la charge de la preuve de la régularité de cette procédure de convocation incombait uniquement à cette commission et que l’irrégularité constatée devait être considérée comme ayant une influence sur l’autorisation accordée (CE, 22 août 2023, n° 439718).
Cette décision a créé la surprise, dans la mesure où les critiques formulées concernant la violation des règles de forme posées par le Code de commerce, étaient jusqu’alors très largement écartées par les juridictions administratives, dans ce contentieux spécifique de l’aménagement commercial. Celles-ci considérant la plupart du temps que l’éventuelle méconnaissance des délais et des formalités prévues par les textes restait sans d’incidence sur le sens de la décision ou qu’elle n’avait pas privé les parties à l’instance d’une garantie.
Tous les auteurs de recours ont donc vu dans cet arrêt du Conseil d’Etat une opportunité pour obtenir l’annulation des permis de construire obtenus par leur concurrent. Les bénéficiaires de ces permis ont, pour leur part, vite compris que leurs projets étaient menacés d’annulation, si la juridiction saisie de leur affaire suivait la position du Conseil d’Etat. Au cours des derniers mois, le sujet des convocations des membres de la Cnac a donc été largement débattu dans les instances engagées avant le mois d’août 2023 et des décisions très variées et parfois déroutantes, ont été rendues, pour plusieurs raisons.
La première cause de ces divergences d’appréciation tient à ce que la Cnac ne s’est pas mobilisée de la même façon dans toutes les affaires. En effet, au lieu de procéder à une «régularisation» systématique, après un passage en revue de tous les contentieux en cours, elle a apporté des réponses au coup par coup, au gré de l’avancement des procédures. De sorte que, dans certains cas, elle en est restée à la production de ses habituelles attestations d’envoi des convocations par son prestataire informatique Dematis, alors que dans d’autres contentieux, elle a communiqué des pièces complémentaires pour justifier de la réception de ces convocations et des pièces. Notamment par la production de captures d’écran de partage de ces fichiers avec les membres de la Cnac, ou d’attestations d’envoi signées par le secrétariat de la Cnac.
Dès lors que ces pièces complémentaires ont été plusieurs fois jugées suffisantes pour rejeter les contestations tirées du non-respect de l’article R. 752-35 du Code de commerce, on comprend mal que la Cnac n’ait pas encore généralisé leur envoi dans l’ensemble des contentieux. Et ce, afin de lever le risque d’annulation encouru, lequel reste effectif. Ainsi, dans une instance où seule l’attestation d’envoi des convocations avait été produite, la position adoptée par le Conseil d’Etat a été suivie et une annulation a été prononcée, faute de justification de ce que «les membres de la commission avaient été effectivement mis à même de prendre connaissance, en temps utile, de l’ensemble des documents requis».
Même si cette annulation a porté sur un arrêté de refus de permis de construire, elle souligne l’aléa que présente le bon vouloir de la Cnac dans la défense de ses avis et décisions.
Quand on connaît les difficultés qu’il faut surmonter pour obtenir ces autorisations, il serait pourtant légitime qu’une telle défense soit présentée, en collaboration avec les porteurs de projet. En effet, ceux-ci n’ont aucune possibilité d’accéder aux pièces justificatives attendues des juridictions administratives.
En cas d’inaction de la Cnac, il ne reste à ces derniers que de s’employer à convaincre les juridictions administratives que ces pièces ne sont pas indispensables, en évoquant les récentes jurisprudences qui se sont affranchies de la position du Conseil d’Etat. En effet, certaines juridictions se sont récemment autorisées à écarter ce moyen d’annulation pour des motifs variés tenant à ce que le requérant ne formulait pas de contestations suffisamment précises sur l’influence exercée par l’irrégularité des convocations, ou encore qu’aucun des membres de la Cnac ne s’était plaint de n’avoir pas été convié à la séance concernée.
Compte tenu de l’enjeu que présente la validation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commercial, il reste difficilement compréhensible d’être soumis à un tel aléa juridique.
> Lire la décision rendue par le Conseil d’Etat le 22 août 2023, N° 439718
