Tribunal judiciaire de Paris
18e chambre, 2e section
Jugement rendu le 10 juillet 2020
RG 20/04516
Société The Travellers Paris Sa c./Société Andyrest Sas
Faits et procédure
Par acte du 28 juillet 1987, la société The Travellers, aujourd’hui dénommée la société The Travellers Paris (la société The Travellers) a donné à bail à la société Comptoir Financier de Choiseul, aujourd’hui dénommée la société Andyrest, des locaux commerciaux dépendants d’un immeuble situé 25 avenue des Champs-Elysées à Paris 8e, pour 9 ans à compter du 1er août 1987. Les locaux dépendent d’un hôtel particulier édifié sous Napoléon III, classé à l’inventaire des monuments historiques, et se développent sur environ 350 m2, au rez-de-chaussée et au sous-sol.
Ce bail a été renouvelé pour 9 ans à compter du 1er août 2005, par avenant des 17 octobre et 30 novembre 2006, l’activité autorisée étant désormais celle de «pub, salon de thé et musique d’ambiance», le bailleur exploitant par ailleurs lui-même une activité de visites, locations de salle et restauration dans le même immeuble.
Par acte extrajudiciaire du 30 décembre 2013, la société The Travellers a fait signifier à la locataire un congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes, à effet du 31 juillet 2014 avant, par acte extrajudiciaire du 7 mars 2014, d’exercer son droit d’option et d’offrir à la société Andyrest le renouvellement du bail pour une durée de 9 ans à compter du 1er août 2014, moyennant un loyer annuel de 1.200.000 euros.
Par jugement du 7 juillet 2017, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris, saisi à cette fin par la société The Travellers, a fixé à la somme annuelle de 736.000 euros, en principal, hors taxes et hors charges, le loyer du bail renouvelé à compter du 1er août 2014 entre les parties, toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées.
Par arrêt du 29 janvier 2020, la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement, constaté que la valeur locative des locaux était inférieure au loyer plafond et fixé le prix du bail renouvelé le 1er août 2014 à la somme de 590.660 euros.
Par arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 et publié au Journal Officiel du 16 mars 2020, puis en application des décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020, modifié par le décret n° 2020-423 du 14 avril 2020, et n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, n’ont plus pu accueillir du public, du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, date à partir de laquelle une réouverture au public a été autorisée sous conditions.
Les parties se sont accordées en avril 2020 pour fixer à la somme de 944.332,41 euros la somme à restituer par la société The Travellers à la société Andyrest en suite de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020.
Faisant valoir qu’elle rencontrait des difficultés économiques, en raison notamment de la cessation de son activité du fait des textes précités, l’empêchant de s’acquitter de son entière dette, la société The Travellers a, après y avoir été autorisée par ordonnance du délégué du président du tribunal judiciaire de Paris du 3 juin 2020, fait assigner à jour fixe la société Andyrest devant la présente juridiction aux fins essentielles d’obtenir des délais de paiement pour le solde de sa dette, fixée à la somme de 714.021,12 euros, après compensation avec les loyers dus par la société Andyrest entre mars et mai 2020, que celle-ci n’a pas réglés, motif pris de la fermeture administrative de son commerce qui serait de nature à la décharger de son obligation à paiement.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 30 juin 2020, soutenues oralement à l’audience du 2 juillet 2020, la société The Travellers demande au tribunal de :
– rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la société Andyrest,
– rejeter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevée par la société Andyrest,
* Vu le bail unissant les parties, l’article 1343-5 du Code civil, ensemble les articles 1347 et suivants du même code,
– fixer au 1er juillet 2020 sa dette envers la société Andyrest, locataire, après compensation des sommes dues antérieurement à cette date, à la somme de 711.126,68 euros,
– lui accorder un délai de treize mois, à compter du 1er juillet 2020, pour s’acquitter de cette somme envers la société Andyrest par voie de compensation avec les loyers dont celle-ci est débitrice à hauteur de 59.066 euros TTC par mois, hors charges,
– dire que la dette s’éteindra à concurrence de ce montant au cours des douze mois commençant à courir à compter du 1er juillet 2020, la somme de 2.334,68 euros TTC s’imputant à due concurrence sur le loyer dû au titre du treizième mois,
– rappeler que le locataire devra régler au fur et à mesure l’ensemble des autres factures adressées par le bailleur (charges, eau, électricité notamment) en vertu du bail liant les deux parties,
– ordonner que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital,
* Vu les articles 1218, 1219, 1719, 1721, 1722 et 1725 du Code civil ensemble, l’article 1134 du même code dans sa rédaction applicable à la cause,
– débouter la société Andyrest de ses demandes et prétentions notamment de ses demandes en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile, en paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, en condamnation aux dépens et en paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– rappeler que la décision à intervenir est exécutoire de plein droit,
– lui donner acte de son offre de supporter les dépens de l’instance.
Il est expressément renvoyé aux conclusions pour l’exposé des moyens de fait et de droit développés au soutien de ces prétentions.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 30 juin 2020, soutenues oralement à l’audience du 2 juillet 2020, la société Andyrest demande au tribunal, au visa des articles L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, 32-1, 70, 92, 122 du Code de procédure civile, 1324, 1347, 1347-1, 1348-1, 1348-2, 1355 du Code civil, de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris en date du 29 janvier 2020, et du bail renouvelé en date du 30 novembre 2006, de :
* In limine litis, sur l’incompétence de la présente juridiction
– constater que le juge de la 18e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris n’est pas compétent,
– dire et juger que le juge de l’exécution est seul compétent pour se prononcer sur la demande de délai formulée par la société The Travellers dans la présente instance,
En conséquence,
– se déclarer incompétent pour statuer sur les demandes de la société The Travellers, au profit du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris,
* A titre subsidiaire, sur l’irrecevabilité
– constater que les demandes formulées par la société The Travellers sont irrecevables en vertu de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 29 janvier 2020,
En conséquence,
– déclarer la société The Travellers irrecevable en ses demandes, fins et conclusions,
* En tout état de cause
– débouter la société The Travellers de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– la condamner à lui verser la somme de 50.000 euros au titre du préjudice subi du fait de l’inexécution par la société bailleresse de son obligation de paiement,
– condamner la société The Travellers à lui verser la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– la condamner à lui verser la somme de 10.000 euros pour procédure dilatoire au titre de l’article 32-1 du Code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens.
Il est expressément renvoyé aux conclusions pour l’exposé des moyens de fait et de droit développés au soutien de ces prétentions.
A l’audience du 2 juillet 2020, le tribunal, relevant que la société Andyrest, à laquelle il est demandé, via la compensation, le paiement des loyers échus pendant la période de fermeture administrative de son commerce, ne développait pas de moyens de défense subsidiaires sur cette demande en paiement, en cas de rejet de son exception d’incompétence, de sa fin de non-recevoir et de son moyen de défense au fond tiré d’un report de l’exigibilité des loyers de la période dite juridiquement protégée, a recueilli les observations des parties sur le point de savoir si l’affaire était en état, ou si elle ne devait pas être renvoyée pour que le preneur puisse développer d’éventuelles contestations au fond, tirées notamment de la force majeure et de l’imprévision, notions qu’il avait lui-même évoquées dans un courrier adressé au bailleur le 19 mai 2020 et produit aux débats.
La société Andyrest a maintenu sa position selon laquelle le tribunal ne pouvait être saisi de cette question, et précisé qu’elle se réservait le droit de contester ultérieurement son obligation à paiement des loyers de la période dite juridiquement protégée.
Motifs de la décision
Sur l’exception d’incompétence
L’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire n’attribue au juge de l’exécution une compétence exclusive que pour statuer sur les difficultés relatives aux titres exécutoires et les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, ce dont il résulte qu’il ne peut être saisi qu’à l’occasion des contestations portant sur les mesures d’exécution forcées engagées ou opérées sur le fondement de ce titre, et seulement après l’engagement d’une mesure d’exécution forcée.
En l’espèce, la société The Travellers est redevable, en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020, qui a fixé le prix du bail renouvelé entre les parties à compter du 1er août 2014, de la différence entre les sommes versées par la société Andyrest, d’abord sur le fondement du prix du bail expiré, puis sur le fondement du prix fixé par le juge des loyers dans sa décision du 7 juillet 2017, entre le 1er août 2014 et le 31 mars 2020, le loyer du 1er trimestre 2020 ayant été payé par le preneur avant le prononcé de son arrêt par la cour d’appel.
Il ressort des courriers échangés entre les parties entre avril et mai 2020 versés aux débats (pièces demandeur n° 7, 8 et 11) que les parties se sont accordées sur le montant de la somme à restituer, arrêtée à 944.332,41 euros, et que la société Andyrest a refusé la demande de la société The Travellers de régler cette somme par mensualités, sollicitant le paiement immédiat de l’intégralité, et n’a pas réglé le loyer du 2e trimestre 2020, invoquant la force majeure et l’imprévision de nature à rendre contestable son obligation de paiement des loyers.
La société The Travellers a alors saisi la présente juridiction aux fins de voir juger qu’une partie de sa dette avait été réglée par compensation et obtenir des délais de paiement sur le solde.
Ces demandes, qui sont indépendantes d’un acte d’exécution forcée, ne relèvent pas de la compétence exclusive du juge de l’exécution, mais du juge de droit commun, le seul fait que la dette de la société The Travellers soit née d’une décision de justice ne rendant pas le juge de l’exécution exclusivement compétent pour statuer sur toutes les suites de cette décision. Il sera en outre observé que si la contestation éventuelle de la société The Travellers de la saisie attribution opérée le 27 mai 2020 par la société Andyrest sur ses comptes bancaires ouverts à la société Bnp Paribas (pièce défendeur n° 13) aurait sans conteste relevé de la compétence du juge de l’exécution, étant rappelé que la société The Travellers a acquiescé le 29 juin 2020 à la saisie et libéré au profit de la société Andyrest la somme de 31.183,44 euros saisie sur le compte, le juge de l’exécution n’aurait été compétent que pour apprécier la régularité de cette saisie et son étendue, mais non pour statuer sur une demande en délais de paiement formée par le preneur à titre principal.
L’exception d’incompétence formée par la société Andyrest sera donc rejetée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée
Il ressort des articles 1351 devenu 1355 du Code civil et 480 du Code de procédure civile, posant le principe de l’autorité de la chose jugée, qu’il incombe aux parties de présenter dès l’instance initiale l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature, soit à fonder la demande, soit à en justifier son rejet total ou partiel, et qu’elles sont ainsi soumises à une obligation de concentration de leurs moyens mais pas de leurs demandes.
En l’espèce, la cour d’appel de Paris a, dans son arrêt du 29 janvier 2020, fixé, à compter rétroactivement du 1er août 2014, le prix du bail renouvelé pour 9 ans à compter de cette date entre les parties.
La cour d’appel n’étant pas saisie d’une demande tendant à voir fixer le montant de la créance de restitution par le bailleur au preneur en suite de sa décision fixant le loyer à la baisse, et le bailleur n’étant pas tenu de faire une telle demande à peine d’irrecevabilité ultérieure, n’étant tenu que de présenter l’ensemble des ses moyens de fait et de droit relatif au montant du loyer, l’arrêt du 29 janvier 2020 est dépourvu d’autorité de chose jugée quant à la détermination de la dette de restitution de la société The Travellers par l’effet de la compensation et à l’octroi de délais de paiement, étant en outre observé que la demande de celle-ci présentée devant la juridiction de céans est de voir juger que sa dette a été en partie payée par compensation avec le loyer du 2e trimestre 2020, échu à ce jour, alors qu’il constituait une dette future lorsque la cour d’appel s’est prononcée ce qui constitue en tout état de cause une circonstance nouvelle.
La fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée présentée par la société Andyrest sera rejetée.
Sur le montant de la dette de la société The Travellers au 30 juin 2020
En application des articles 1347-1 et 1348 du Code civil, la compensation peut être ordonnée en justice entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.
L’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, modifiée, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, dispose que «les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période [allant du 12 mars au 23 juin 2020 inclus]. Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après [le 23 juin 2020], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée «et que» le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus [entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020]». Cet article a pour effet d’interdire l’exercice par le créancier un certain nombre de voies d’exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, mais n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat, qui peut donc être spontanément payé ou réglé par compensation.
Selon l’article 1134 devenu 1104 du Code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives.
En l’espèce, il résulte des motifs ci-dessus exposés qu’au 29 janvier 2020, la société The Travellers était redevable envers la société Andyrest de la somme de 944.332,41 euros en suite de l’arrêt de la cour d’’appel, ainsi que, selon les conclusions concordantes des parties sur ce point, de la somme de 28.289 euros au titre du remboursement du réajustement du dépôt de garantie.
Le bail renouvelé entre les parties du 1er août 2014 aux mêmes clauses et conditions que le bail précédent prévoit le paiement par le preneur de son loyer, annuellement indexé, par trimestre d’avance, outre le remboursement au bailleur notamment de 33 % des factures d’eau de l’immeuble, tant qu’un seul compteur général est installé, et de l’impôt foncier et la taxe de balayage afférents aux locaux loués.
Depuis le prononcé par la cour d’appel de son arrêt fixant à la somme de 590.660 euros le loyer annuel dû depuis le 1er août 2014, le bailleur a réclamé au preneur d’une part, la somme de 147.665 euros HT, soit 177.198 euros TTC, au titre du loyer du 2e trimestre 2020, exigible le 31 mars 2020, et, d’autre part, la somme de 22.710,22 euros au titre des charges d’eau de l’année 2019 et celle de 24.824,15 euros au titre des impôts fonciers et taxes de balayage pour l’année 2019.
La société Andyrest ne conteste pas le quantum des sommes réclamées et leur exigibilité n’était pas suspendue par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 précitée.
Il ressort des pièces versées aux débats (pièces demandeur n° 9, 10 et 21; pièces défendeur n° 8, 9 et 10) que :
– le 25 mars 2020, le bailleur adresse au preneur la facture du loyer du 2e trimestre 2020, conforme aux stipulations contractuelles, et lui propose, au regard de la fermeture administrative des restaurants et pour soulager sa trésorerie, de ne pas payer son loyer par trimestre d’avance, mais par mensualités à terme à échoir, et de reporter l’exigibilité du loyer d’avril 2020 à la réouverture des restaurants ;
– le 26 mars 2020, le preneur indique au bailleur que la proposition de report du loyer d’avril 2020 est inacceptable, se référant aux positions développées par son syndicat professionnel préconisant la suppression totale des loyers et charges rétroactivement à compter du 15 mars 2020 et jusqu’à la réouverture des restaurants ; il ajoute proposer, en raison de la demande en paiement faite, de procéder dans un premier temps par compensation, en payant les charges d’eau et le loyer du 2e trimestre par compensation avec la créance de restitution sur le trop-perçu de loyer qu’il détient sur le bailleur en suite de l’arrêt d’appel ;
– le 14 avril 2020, le bailleur écrit au preneur pour lui proposer des modalités de remboursement de sa dette, résultant de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, et sur le montant de laquelle ils se sont accordés, précisant rencontrer des difficultés en raison de la fermeture des commerces mais proposant, au regard des besoins de trésorerie du preneur, de lui restituer la somme de 28.289 euros correspondant au réajustement du dépôt de garantie et un paiement échelonné du solde sur 24 mois ;
– le 15 avril 2020, le preneur indique au bailleur qu’il refuse les délais de paiement sollicités, relevant notamment qu’il aurait dû provisionner les sommes perçues tant que la fixation du prix du bail renouvelé n’était pas définitive et conserver ainsi les fonds ;
– le 18 mai 2020, le bailleur indique au preneur retirer sa proposition de report du paiement de loyer d’avril 2020, vu le refus qui lui a été opposé, accepter sa proposition de paiement du loyer du 2e trimestre et des charges d’eau par compensation avec la créance de restitution de trop-perçu de loyers, et adresse au preneur un chèque de 5.578,78 euros, correspondant au remboursement du réajustement du dépôt de garantie après compensation avec la facture de 22.710,22 euros relative aux impositions et taxes 2019 ;
– le 19 mai 2020, le preneur répond au bailleur qu’il le considère comme résistant de manière inacceptable à une décision de justice et s’oppose à toute compensation, considérant que la créance de loyers revendiquée n’est ni liquide ni exigible au regard de la situation.
Il ressort de ces éléments que le bailleur n’a pas exigé le paiement immédiat du loyer et des charges dans les conditions prévues au contrat mais a proposé un aménagement, et que le preneur n’a jamais formalisé de demande claire de remise totale ou partielle des loyers et/ou charges dus, ni sollicité d’aménagement de ses obligations sur une période bien déterminée.
Il sera donc considéré que le bailleur a exécuté de bonne foi ses obligations au regard des circonstances, que la somme totale de 224.732,37 euros est donc due par la société Andyrest, qu’elle est fongible, liquide, exigible et certaine et il sera fait droit à la demande du bailleur en paiement partiel de sa dette par compensation.
La compensation entre la créance détenue par la société Andyrest sur la société The Travellers en suite de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020 fixant le prix du bail renouvelé à compter du 1er août 2014 (944.332,27 euros + 28.289 euros) et celle détenue par la société The Travellers sur la société Andyrest au titre des charges 2019 et du loyer du 2e trimestre 2020 (224.732,37 euros) sera ordonnée.
La dette de la société The Travellers sera donc fixée, au 30 juin 2020, à la somme de 711.126,68 euros, soit 972.621,27 euros (somme due au 29 janvier 2020), moins les sommes réglées par compensation (224.732,37 euros), et celles payées par chèque (5.578,78 euros) et par la saisie attribution à laquelle le bailleur a acquiescé (31.183,44 euros).
Sur la demande de délais de paiement
L’article 1343-5 du Code civil permet au juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, d’échelonner dans la limite de deux années le paiement d’une créance.
En l’espèce, si la société The Travellers établit par la production de son bilan comptable 2018, des factures de son architecte au cours de l’année 2019 et du bilan de son expert-comptable du 31 mai 2020, bénéficier d’une faible trésorerie, elle ne justifie pas être dans la nécessité d’obtenir des délais de paiements pour régler sa dette, ramenée à un peu plus de 700.000 euros, dès lors qu’elle a perçu pendant plus de 5 ans, tous les trimestres et d’avance, un loyer supérieur à celui qu’elle aurait dû percevoir, privant ainsi la société Andyrest d’une partie de sa trésorerie, qu’elle ne justifie pas avoir sollicité un prêt bancaire en présentant l’ensemble de ses ressources et de son patrimoine, et qu’elle subit les conséquences économiques de l’état d’urgence sanitaire dans les mêmes proportions que son preneur dont les besoins sont donc équivalents.
La demande de la société The Travellers en délais de paiement sera donc rejetée, ce qui rend sans portée les développements des parties sur la compensation de dettes futures, dès lors que la demande du bailleur en paiement de sa dette par compensation avec les loyers à échoir ne peut que s’analyser en une demande de délai de paiement, par compensation.
Sur les autres demandes
La société The Travellers étant déclarée fondée en sa demande de compensation partielle, ayant ainsi réglé moins d’un mois après la signification, le 5 mars 2020, de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020, plus d’un cinquième de sa dette par compensation, ayant depuis effectué des paiements depuis, et les intérêts légaux continuant à courir sur le solde restant dû, les demandes de la société Andyrest en paiement de dommages et intérêts pour procédure dilatoire et en réparation du préjudice subi par le retard de paiement seront rejetées.
La société The Travellers supportera les dépens, conformément à son offre.
Le sens de la présente décision conduit à écarter toute application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Aucune circonstance ne justifie de déroger à l’exécution provisoire de droit de la présente décision en application de l’article 514 du Code de procédure civile.
Par ces motifs
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Rejette l’exception d’incompétence présentée par la société Andyrest,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée présentée par la société Andyrest,
Ordonne la compensation entre la créance détenue par la société Andyrest envers la société The Travellers Paris en suite de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020 fixant le prix du bail renouvelé à compter du 1er août 2014 et celle détenue par la société The Travellers Paris sur la société Andyrest au titre des charges 2019 et du loyer du 2e trimestre 2020,
Fixe, au 30 juin 2020, à la somme de 711.126,68 euros la dette de la société The Travellers Paris envers la société Andyrest en suite de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020,
Rejette la demande en délais de paiement présentée par la société The Travellers Paris,
Rejette les demandes de la société Andyrest en paiement de dommages et intérêts pour procédure dilatoire et en réparation du préjudice subi par le retard de paiement,
Condamne la société The Travellers Paris aux dépens,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile,
Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
