Cour d’appel de Bordeaux
4e chambre commerciale
28 septembre 2020
N° 17/00758
Société Acc c./M. X
Faits et procédures
Un contrat portant bail dérogatoire a été conclu entre M. X, propriétaire de locaux à usage de magasin situés 3 place de la Liberté à Sarlat (Dordogne), et la société Acc, le 17 novembre 2011 jusqu’au 30 septembre 2013.
Un second contrat de bail dérogatoire a été conclu par les parties le 17 mars 2014, pour un terme au 31 janvier 2016.
Le bailleur, qui a informé par lettre du 28 juillet 2015 le preneur de son intention de reprendre les locaux à l’expiration du bail, a constaté que la société Acc refusait de libérer les locaux au 31 janvier 2016.
Après une assignation délivrée par le bailleur le 22 octobre 2015 devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bergerac pour demander l’expulsion de la société Acc, cette dernière a assigné M. X au fond par acte du 9 novembre 2015 pour demander le bénéfice du statut des baux commerciaux, et fait valoir une contestation sérieuse pour cette raison devant le juge des référés.
Par jugement du 10 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Bergerac, statuant au fond, a :
– Débouté la société Acc de l’intégralité de ses demandes,
– Ordonné l’expulsion de la société ACC et tous occupants du local commercial situé 3 place de la Liberté à Sarlat,
– Condamné la société à restituer les clefs du local, et à payer une indemnité d’occupation de 3.500 euros par mois pour toute occupation excédant le 31 janvier 2016 jusqu’au départ définitif, 1.000 euros à titre d’indemnité pour procédure abusive, et 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens,
– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 6 février 2017, la société Acc a interjeté appel de cette décision.
(…)
Prétentions des parties
Par conclusions déposées en dernier lieu le 25 juillet 2019, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Acc demande à la cour de :
– Réformer le jugement du tribunal de grande instance de Bergerac en date du 10 janvier 2017,
– Contaster que la société Acc est demeurée en possession à l’issue du bail dérogatoire que lui avait consenti Monsieur X le 17 novembre 2011,
– Constater, en tant que de besoin, que les deux baux régularisés entre Monsieur X et la société Acc sont d’une durée bien supérieure à la durée maximale autorisée par l’article L .145-5 du Code de commerce.
En conséquence :
– Dire et juger que le contrat de bail liant la société Acc et Monsieur X doit être soumis aux dispositions des articles L. 145-1 et suivant du code de commerce relatifs aux baux commerciaux,
– Rejeter la demande de Monsieur X à l’encontre de la Société Acc sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile,
– Condamner Monsieur X au paiement de la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner Monsieur X aux entiers dépens.
L’appelante fait notamment valoir qu’en aucun cas il n’est loisible au bailleur de pourvoir durablement la location d’un local par le biais de baux de courte durée ; qu’elle est locataire sans discontinuer des locaux depuis le 1er novembre 2011 ; qu’elle a effectivement occupé les locaux et qu’elle est resté en possession des lieux pour toute la période intérimaire entre les deux baux, réglant notamment les factures d’eau et d’électricité ; que le bailleur n’a restitué le dépôt de garantie du premier bail que le 10 mars 2014, une semaine avant d’encaisser le dépôt de garantie du second bail ; que M. X n’a pris aucune disposition pour ne pas la laisser en possession à l’expiration du premier bail dérogatoire ; qu’elle n’a pas renoncé au statut des baux commerciaux ; que le local a fait l’objet de deux baux dérogatoires d’une durée totale de 46 mois, bien supérieure à la durée de deux ans alors autorisée ; qu’elle est parfaitement fondé à solliciter le bénéfice d’un bail commercial.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 16 mai 2017, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. X demande à la cour de :
– Dire la société Acc mal fondée en son appel,
En conséquence,
– Confirmer le jugement dont appel, sauf sur le quantum de l’indemnité allouée pour procédure abusive,
Statuant à nouveau,
– Condamner la société Acc au paiement de la somme de 3.000 € à titre d’indemnité pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile,
En tout état de cause,
– Condamner la société Acc au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure d’appel.
L’intimé fait notamment valoir que le faisceau d’indices est insuffisant pour caractériser le maintien en possession après le premier bail ; que les règlements s’arrêtent au 25 octobre 2013 selon récapitulatif de la société preneuse ; que cette pièce démontre une fin d’activité à compter du 26 octobre 2013 ; que le commerce était fermé comme les autres commerces de Sarlat qui n’ouvrent que pour la période saisonnière ; que la preuve du paiement effectif de l’électricité à compter d’octobre 2013 n’est pas rapportée ; que la date d’encaissement du chèque par la société Acc ne permet en rien de démontrer un remboursement tardif du dépôt de garantie ; qu’il n’a perçu aucun loyer entre septembre 2013, dernière échéance du premier bail dérogatoire, et mars 2014, date de prise d’effet du second bail ; que l’intention non équivoque de la société Acc de mettre fin au premier bail dérogatoire est pleinement démontrée ; que la société Acc a procédé à une renonciation non équivoque à l’application du statut des baux commerciaux par la conclusion d’un second bail dérogatoire.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 août 2019.
Motifs de la décision
Devant la cour, la société ACC réitère sa demande pour voir dire que le contrat de bail la liant à M. X est régi par le statut des baux commerciaux.
Elle fait valoir, d’une part, qu’elle est restée en possession à l’issue du bail dérogatoire du 17 novembre 2011, et, d’autre part, que les deux baux sont d’une durée bien supérieure à la durée maximale autorisée par l’article L. 145-5 du Code de commerce.
Le bailleur s’oppose à la demande et soutient la confirmation du jugement attaqué, en faisant valoir que le maintien en possession n’est pas caractérisé ; que la locataire a cessé tout paiement de loyer ; que le preneur peut renoncer à l’application du statut des baux commerciaux par la conclusion d’un second bail dérogatoire, ce qu’il a fait en toute connaissance de cause.
Aux termes des dispositions de l’article L. 145-5 du Code de commerce, les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du chapitre relatif au bail commercial, à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans (deux ans à la date des faits de la présente cause). A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du chapitre relatif au bail commercial.
La société Acc soutient qu’elle est restée sans discontinuer locataire des locaux de M. X depuis le 1er novembre 2011, et notamment pendant la période intermédiaire comprise entre l’échéance du premier bail le 30 septembre 2013 et la prise d’effet du second bail.
Elle se prévaut du règlement d’une facture d’eau de 118,15 euros et de factures d’électricité pour le deuxième semestre 2013, ainsi que de l’absence de restitution du dépôt de garantie.
Il convient toutefois aussi de rechercher si les lieux loués constituaient le lieu d’exploitation d’un fonds de commerce, comme l’exige le texte, après le terme du premier bail, survenu le 30 septembre 2013.
A cet égard, le bailleur relève à juste titre qu’il résulte des pièces mêmes produites par le preneur (pièce Acc n° 3) que les règlements s’arrêtent au 25 octobre 2013, et qu’il est ainsi démontré une fin d’activité à compter au plus tard du 26 octobre 2013.
Le tribunal a relevé à bon droit que le paiement de factures d’eau et d’électricité ne peut suffire à établir un maintien dans les lieux, dès lors qu’il appartenait au seul preneur de procéder aux démarches de résiliation de ces abonnements.
Le bailleur peut également opposer utilement que, si le preneur n’a encaissé son chèque de remboursement du dépôt de garantie que le 10 mars 2014, cette date d’encaissement ne démontre pas un remboursement tardif mais seulement la date de dépôt du chèque à la banque, alors que M. X, qui affirme avoir remis ce chèque dès la fin du premier bail, soutient aussi sans être démenti que les clefs lui ont été restituées et qu’il a repris possession des locaux.
Le bailleur oppose enfin tout aussi utilement que le loyer n’a plus été payé par la société Acc après le mois de septembre 2013, ce qui démontre l’intention du preneur de mettre fin au bail.
Ainsi, il n’est nullement établi que la société Acc, sur laquelle repose la charge de la preuve, se serait maintenue dans les lieux après la fin du premier bail dérogatoire pour y exploiter un fonds de commerce, de sorte qu’il ne s’est pas opéré entre les parties un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux en application de l’article L. 145-5 ci-dessus.
Il est par ailleurs constant que la société Acc a conclu avec M. X un nouveau bail dérogatoire le 17 mars 2014, sans entendre se prévaloir pour celui-ci du statut des baux commerciaux de droit commun.
Enfin, c’est de manière erronée que la société Acc soutient que le local aurait fait l’objet de baux dérogatoire d’une durée supérieure à celle fixée comme limite par l’article L. 145-5 ci-dessus, puisque, si deux baux dérogatoires ont été conclus entre les parties pour les mêmes locaux, ceux-ci ne sont pas successifs, mais au contraire séparés par près de 6 mois (fin du premier bail le 30 septembre 2013 et conclusion du second bail le 17 mars 2014), et que chacun de ces deux baux séparés était conclu pour une durée inférieure à deux ans.
Dans ces conditions, c’est à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes de la société Acc de bénéficier du statut des baux commerciaux et a prononcé son expulsion, l’obligation de restitution des clefs, et a fixé une indemnité d’occupation.
Sur les autres demandes
Le tribunal a fait droit à la demande de M. X fondée sur l’article 32-1 du Code de procédure civile, en condamnant la société Acc à lui payer 1.000 euros à titre d’indemnité pour procédure abusive.
Il résulte de l’article 32-1 du Code de procédure civile que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 3.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
M. X, formant appel incident, demande que cette indemnité soit portée à 3.000 euros.
La société Acc demande à la cour de « rejeter » la demande de M. X de ce chef, et argumente sur l’absence d’abus de sa part pour avoir formé appel (page 7 de ses conclusions). Elle ne répond pas expressément à la motivation du tribunal, qui a estimé en première instance qu’elle avait usé de manœuvres pour tenter d’obtenir le bénéfice des dispositions des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, c’est à dire du statut des baux commerciaux.
De fait, l’omission de résilier les abonnements d’eau et d’électricité à l’issue du premier bail, qui lui a permis de se prévaloir ensuite du paiement de modestes factures au titre du local litigieux, tout comme l’encaissement tardif du chèque de remboursement du dépôt de garantie, qui lui permet de soutenir l’absence de remboursement, constituent, à la lumière de l’action de la société ACC pour tenter d’obtenir le bénéfice du statut des baux commerciaux, des manœuvres préparatoires pour tenter d’obtenir indûment gain de cause, rendant ainsi l’action abusive, de sorte que l’allocation de dommages-intérêts au bailleur est justifiée, sans qu’il ne soit nécessaire de réformer leur quantum.
Le jugement sera donc aussi confirmé de ce chef.
Partie tenue aux dépens d’appel, la société Acc paiera à M. X la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 10 janvier 2017 par le tribunal de grande instance de Bergerac,
Déboute M. X de ses demandes plus amples,
Condamne la société Acc à payer à M. X la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel,
Condamne la société Acc aux dépens d’appel.
