La modernité est une source naturelle de conflit entre les hommes. Elle ne démontre aucune qualité particulière, ni aucun défaut. Juste un tempérament, comme celui de ce franchisé Planet Sushi qui s’était déjà élevé (avec succès) contre la transmission par logiciel informatique de ses données clients vers le franchiseur en 2014. Celui-là même remet ça avec le système des commandes en ligne et celui de l’application smartphone qu’il aurait voulu voir payés par la redevance de communication… nonobstant les éminents services qu’ils ont rendus pendant la crise sanitaire ! Cette fois, les juges le remettent en place : la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er juin 2022, n° 20-19.010) (1re espèce), et la Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 24 novembre 2021, n° 18/14501) (2e espèce). Car ces évolutions n’ont pas à être – du moins pas intégralement – supportées par le franchiseur ; ce que prouve du reste le fait qu’il les propose à titre facultatif.
Par Me Rémi de Balmann, avocat-gérant (D, M & D),
coordinateur du Collège des experts de la Fédération française de la franchise
Initié avant le déclenchement de la crise sanitaire, le litige ayant conduit à l’arrêt de rejet de la Cour de cassation du 1er juin 2022 prend une résonance particulière. Il opposait un franchiseur à un franchisé contestataire et récalcitrant, refusant de supporter le coût d’un nouveau service de commandes en ligne. Quand on se souvient du désarroi dans lequel les commerçants se sont trouvés lorsqu’il leur a fallu à la hâte mettre en place des systèmes de click and collect (eux dont beaucoup n’avaient même pas de site Internet), on mesure le bénéfice que nombre de franchisés ont retiré de l’appartenance à des réseaux qui se doivent – par nature et sauf à «décrocher» – être à la pointe de la modernité. Les confinements successifs et les restrictions de déplacement ont accéléré encore la digitalisation des réseaux et l’omnicanalité mais les franchiseurs n’avaient pas attendu mars 2022 pour découvrir le e-commerce.
Il est ainsi dans les devoirs du franchiseur et dans l’intérêt du développement du réseau de multiplier les outils permettant aux franchisés de mieux capter et de toujours mieux satisfaire la clientèle. Et l’on sait combien dans les franchises de services, et plus spécialement de restauration, Internet est incontournable. Reste à savoir qui doit payer. Et l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2022 vient clore un litige éclairant à ce sujet.
Seul réfractaire parmi une quarantaine d’autres franchisés du réseau Planet Sushi, l’exploitant de 6 points de vente sous enseigne, situés dans les Hauts-de-Seine, contestait devoir payer les services du prestataire choisi par le franchiseur pour assurer le traitement des commandes en ligne. Pour ce franchisé, non seulement la lettre mais l’esprit du contrat de franchise mettraient à la charge du franchiseur le coût de la commande en ligne. Les juges du fond puis la Cour de cassation ont désavoué – et c’est heureux – cette vision de la répartition des coûts dans les réseaux de franchise.
On se souvient que déjà dans le passé (et à l’époque avec succès) ce franchisé s’était opposé au franchiseur au sujet des logiciels informatiques de remontée d’information. Par arrêt du 29 avril 2014, la cour d’appel de Paris avait confirmé l’ordonnance de référé ayant autorisé le franchisé à ne pas communiquer les données nominatives de ses clients, considérant à cette occasion que «ce changement de logiciel, au regard des dispositions du contrat qui autorisent la société (franchiseur) à faire des campagnes de promotion de son concept et de ses produits en direction des clients de ses franchisés et ce, y compris après la résiliation du contrat et à conserver la copie du fichier clients après la cessation des relations contractuelles avec le franchisé, conduit à mettre à la disposition du franchiseur un élément essentiel du fonds de commerce du franchisé, avec le risque d’un détournement de sa clientèle au terme du contrat».
Il était permis de ne pas être d’accord avec cet arrêt qui avait écarté l’argument du franchiseur pour qui «les clauses relatives aux fichiers-clients prévoyant notamment son utilisation par la tête de réseau à des fins promotionnelles, en plus d’être légales, sont usuelles en distribution». Et nous avions souligné, commentant cet arrêt, que (1) : «Les outils de communication conçus et mis au point par le franchiseur au service des franchisés aident souvent puissamment à la constitution de la clientèle. Il est d’ailleurs loin le temps où le fichier-clients était constitué par des… fiches ! L’informatique et Internet ont singulièrement changé la donne…
Doit-on parler de «client local» ou de «client national» lorsqu’un consommateur commande sur le site marchand du franchiseur et est redirigé vers le point de vente le plus proche du lieu de livraison ? Notamment au travers du système de fidélisation des clients, les réseaux acquièrent un droit devant les mettre à l’abri d’une action en concurrence déloyale pour détournement de clientèle».
Or et quelques années plus tard, la mise en place au sein du réseau Planet Sushi d’un nouveau site de commandes en ligne allait donner l’occasion à ce franchisé de s’opposer derechef au franchiseur et de faire «rebondir» cette question de l’ambivalence de la clientèle au sein des réseaux de franchise. Ainsi et devant la cour d’appel de Paris, ce franchisé – qui avait été débouté de ses demandes par le tribunal de commerce de Paris par jugement du 4 octobre 2017 (2) – soutenait que le contrat de franchise mettait «à la charge du franchiseur une obligation de résultat, l’obligeant à faire bénéficier les franchisés d’une fonctionnalité permettant le traitement de commandes en ligne, qui prévoit le financement lié au fonctionnement du site dans sa globalité, toutes fonctionnalités confondues, qui mentionne que les franchisés acceptent que le franchiseur réalise ce financement pour partie par les redevances publicitaires, le financement de l’autre partie n’ayant jamais fait l’objet d’un consentement exprès des franchisés devant être à la charge exclusive du franchiseur dans le cadre du paiement des royalties».
Cependant et dans son arrêt du 8 janvier 2020 (3), la cour d’appel de Paris devait objecter notamment au franchisé que le contrat de franchise ne faisait obligation au franchiseur que de «présenter le restaurant du franchisé sur son site et doit seulement permettre au franchisé de traiter la commande en ligne, lui fournissant ainsi le moyen nécessaire pour y parvenir» et qu’il n’est «aucunement prévu que le franchiseur, qui supporte le coût de l’hébergement du site, finance aussi les frais de gestion des commandes en ligne, relatifs notamment au transfert des commandes du site aux restaurants, à la réception des réclamations et leur traitement».
Cette solution a été approuvée par la Cour de cassation qui, dans l’arrêt du 1er juin 2022, a jugé que «le contrat de prestation de services (des commandes en ligne) ne faisait pas «double emploi» avec les obligations résultant du contrat de franchise».
Ainsi donc, «les redevances du contrat de franchise concernent le droit à l’enseigne et à l’assistance, la participation à la publicité nationale afin de promouvoir l’image et la notoriété du réseau et de l’enseigne Planet Sushi, tandis que la facturation des prestations assurées par la société Psd concerne la gestion des commandes passées sur le site, de la maintenance du site, de ses évolutions ainsi que du service client et de la hotline et que ces prestations ne sont pas redondantes avec celles résultant du contrat de franchise».
On retrouve là en creux la distinction entre clientèle nationale et clientèle locale, cette dernière étant créée par l’activité du franchisé et (comme le soulignait le fameux arrêt Trévisan) «avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en œuvre à ses risques et périls» (4). La redevance de communication nationale ne saurait dès lors servir à couvrir le coût d’utilisation par chaque franchisé des services de commandes en ligne. Pas plus d’ailleurs que la redevance de franchise ne saurait non plus être «mise à toutes les sauces». C’est ainsi que ce toujours fameux franchisé du réseau Planet Sushi s’est vu débouter par la cour d’appel de Paris de sa nouvelle action visant (cette fois) à bénéficier gratuitement du contrat d’abonnement à l’application mobile Planet Sushi ! Cette fois, c’est par le biais du savoir-faire que ce franchisé escomptait voir juger que «la mise au point d’une application smartphone permettant aux clients de commander des produits directement sur leur téléphone constitue une évolution technologique, s’inscrivant ainsi dans l’évolution du savoir-faire, de sorte que le franchiseur est tenu de faire bénéficier ses franchisés d’une telle application, peu important que le contrat ne le stipule pas expressément».
Cependant et comme dans l’affaire des commandes en ligne dans laquelle il avait été relevé qu’il s’agissait là d’un service «supplémentaire et optionnel», la cour d’appel de Paris observe que «l’adhésion à l’application est libre, ce qui démontre bien qu’elle ne peut être confondue avec l’évolution du savoir-faire du franchiseur». Et surtout et à juste titre la cour d’appel a jugé que (5) : «Il ne peut être retenu que la mise au point d’une application smartphone permettant aux clients de commander des produits directement sur leur téléphone serait relative à l’évolution du savoir-faire du franchiseur alors qu’elle constitue une évolution technologique indépendante de ce savoir-faire (…)».
Oui aux franchises Web.2.0 et même demain Web 3. Mais pas à la seule charge des franchiseurs !
Notes
1. «Big Brother au pays de la franchise ?», L’Argus de l’Enseigne 47 – novembre 2014, p. 19.
2. Tribunal de commerce, Paris, 19e ch., 4 oct. 2017, n° 2017025630, JurisData : 2017-029747, p. 5.
3. CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 8 janv. 2020, n° 17/19362.
4. Cass. civ. 3, 27 mars 2002, pourvoi n° 00-20.732.
5. CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 24 nov. 2021, n° 18/14501.
> Lire l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 24 novembre 2021
