Tribunal administratif de Nice,
Jugement du 4 juillet 2024,
n° 2403068
Sci Nosbe et la Sarl Dernier Vœu c./ Commune de Mandelieu-La-Napoule
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des pièces, enregistrées les 7 juin 2024 et 2 juillet 2024, la Sci Nosbe et la Sarl Dernier Vœu, prises en les personnes de leurs représentants légaux, représentées par M. Eglie-Richters, demandent au juge des référés :
1°) de prononcer, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la suspension de la décision du 21 mai 2024 par laquelle le maire de Mandelieu-La-Napoule a exercé le droit de préemption urbain de ladite commune sur le local d’activité d’une superficie de 47,57 m2 et de sa terrasse en jouissance exclusive et particulière, appartenant à la Sci 53 Quai d’Artois, dépendant de l’immeuble sis 707, avenue de Cannes à Mandelieu-La-Napoule et cadastré BX n° 205, au prix de 150.000 euros ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Mandelieu-La-Napoule une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
– l’urgence est caractérisée : l’activité de la société Dernier Vœu est menacée alors que la Sci Nosbe s’est endettée pour acquérir les locaux commerciaux et que la vente va intervenir ;
– des moyens propres sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption :
* la décision en litige n’est motivée ni en fait ni en droit ;
* les dispositions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme sont méconnues : l’utilité et l’intérêt général de la décision de préemption ne sont pas démontrées ; le projet de renouvellement urbain n’a pas de réalité ; aucune restructuration urbaine ni aucun projet de ce type n’est étayé ;
* la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation : les dispositions de l’article L. 214-1 et suivants sont applicables s’agissant de la préemption d’un fonds de commerce ; l’objectif affiché de maintien de l’activité économique ne ressort d’aucun élément ;
* il est porté atteinte à la liberté d’entreprendre, du commerce et de l’industrie : la commune vise à faire cesser l’exploitation de services funéraires sur l’avenue de Cannes.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2024, la commune de Mandelieu-La-Napoule, représentée par M. Paloux, conclut au rejet de la requête et à la condamnation des sociétés requérantes à payer la somme de 4.000 euros, en application des dispositions de l’article L.761-1 du Code de justice administrative.
La commune fait valoir que :
– la condition d’urgence n’est pas remplie eu égard à l’intérêt public tenant à ce que l’opération d’aménagement déjà entamée puisse être lancée rapidement ;
– aucun des moyens allégués par les sociétés requérantes n’est fondé :
* la décision en litige est motivée en fait et en droit ;
* le moyen tiré de la violation des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme sera écarté : la préemption contestée s’inscrit dans un projet de renouvellement urbain, dans un secteur précis, faisant intervenir une diversité d’acteurs, qui en est déjà au stade de la réalisation concrète et qui a déjà conduit à des acquisitions et à des préemptions ; la nature du projet concernant le projet en litige est clairement explicitée ;
* la décision en litige est fondée à bon droit sur les dispositions de l’article L. 210-1 du Code de l’urbanisme ;
* aucune atteinte à la liberté d’entreprendre ne peut être retenue.
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– la requête enregistrée le 7 juin 2024 sous le n° 2403064, par laquelle les sociétés requérantes demandent l’annulation de la décision attaquée.
Vu :
– le Code de l’urbanisme ;
– le Code des relations entre le public et l’administration ;
– le Code de justice administrative.
(…)
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative
1. Aux termes de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative : «Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ()».
En ce qui concerne l’urgence
2. Eu égard à l’objet d’une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l’acquéreur évincé, la condition d’urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci demande la suspension d’une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l’intérêt s’attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise.
3. Il résulte de l’instruction que la Sci Nosbe, qui dirige la société funéraire Dernier Vœu, a souhaité acquérir le local commercial exploité depuis quatre ans par la société Dernier Vœu dans le cadre d’un bail consenti jusqu’au 1er avril 2029. Par la décision du 21 mai 2024 en litige, la commune de Mandelieu-La-Napoule a exercé son droit de préemption sur ce local d’activité dont elle deviendra propriétaire après le paiement de la somme de 150.000 euros ou la consignation du prix et la signature de l’acte authentique. La Sci Nosbe , en sa qualité d’acquéreur évincé, fait valoir que ce local dont l’activité est indispensable à la poursuite de l’activité funéraire de la société Dernier Vœu, va changer de propriétaire dans un bref délai. La commune de Mandelieu-La-Napoule ne justifie d’aucune circonstance particulière s’attachant à la réalisation rapide du projet d’aménagement ayant donné lieu à l’exercice du droit de préemption alors qu’il résulte de l’instruction que le local en litige n’est pas situé dans le périmètre d’intervention de l’opération envisagée. Dès lors, la condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative doit être regardée comme remplie
En ce qui concerne le doute sérieux sur la légalité de la décision en litige
4. Aux termes de l’article L. 210-1 du Code de l’urbanisme : «Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé ()».
Et aux termes de l’article L. 300-1 de ce même code : «Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels.».
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les collectivités titulaires du droit de préemption commercial peuvent légalement exercer ce droit, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l’occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
6. Pour justifier la réalité d’un projet préexistant, la commune de Mandelieu fait valoir qu’elle a exercé son droit de préemption dans l’objectif de «la mise en place d’une opération de renouvellement urbain du centre-ville, opération d’aménagement d’ensemble intégrant le recalibrage de l’avenue de Cannes, l’amélioration de la d’ensemble intégrant le recalibrage de l’avenue de Cannes, l’amélioration de la fluidité de la circulation, des besoins en stationnement importants dans ce secteur, la création d’espaces végétalisés, ainsi que le maintien et le développement des activités économiques».
La décision en litige précise également que «le local commercial est situé dans le périmètre d’étude proposé à la réflexion des candidats au dialogue compétitif lancé en 2023 par la commune» et que «cette démarche de renouvellement urbain a déjà conduit la commune à procéder à l’acquisition de réserves foncières dans le secteur du centre-ville, et notamment à proximité immédiate de l’avenue de Cannes dont les terrasses adjacentes au local d’activité».
Il résulte des pièces versées au dossier que si le local en litige est situé au 707, avenue de Cannes, à l’entrée de Mandelieu-La-Napoule, il n’est, toutefois, pas situé, à la date à laquelle le juge des référés statue, dans le périmètre d’intervention du projet de renouvellement urbain, tel qu’arrêté dans la convention d’intervention foncière conclue entre la commune de Mandelieu-La-Napoule et l’établissement public foncier (Epf) de Provence-Alpes-Côte-d’Azur du 5 janvier 2023. Il ne résulte pas non plus de l’instruction que l’Epf ait souhaité intervenir, à titre exceptionnel, en dehors de périmètre, ainsi que le prévoit l’article 3 de ladite convention, dans le secteur dans lequel est situé le local en litige.
Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que les moyens tirés de ce que la décision de préemption du 21 mai 2024 méconnaît les dispositions de l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et qu’elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.
7. Aux termes de l’article L. 600-4-1 du Code de l’urbanisme : «Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier».
Aucun autre moyen n’est susceptible de fonder, en l’état du dossier, la suspension de la décision attaquée.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les conditions d’application de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative étant réunies, il y a lieu de suspendre l’exécution de la décision du 21 mai 2024 du maire de Mandelieu-La-Napoule jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa légalité au fond.
Sur les frais d’instance
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Mandelieu-La-Napoule une somme globale de 1.500 euros, à verser à la Sci Nosbe et à la Sarl Dernier Vœu au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés requérantes, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme réclamée au même titre par la commune de Mandelieu-La-Napoule
Ordonne :
Article 1er : L’exécution de la décision du 21 mai 2024 par laquelle le maire de Mandelieu-La-Napoule a exercé son droit de préemption sur le local d’activité d’une superficie de 47,57 m2 et de sa terrasse sis 707, avenue de Cannes est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.
Article 2 : La commune de Mandelieu-La-Napoule versera à la Sci Nosbe et à la Sarl Dernier Vœu la somme totale de 1.500 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions formulées par la commune de Mandelieu-La-Napoule au titre de l’article L.761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Sci Nosbe, à la Sarl Dernier Vœu et à la commune de Mandelieu-La-Napoule.
