Objet : Circulaire sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’ artificialisation
A l’été 2018, le gouvernement présentait son «plan biodiversité», qui définissait l’objectif «zéro artificialisation nette» (ZAN) et recommandait, notamment, de «freiner l’artificialisation brute».
Dans la circulaire du 29 juillet 2019, il a appelé «au renforcement de la mobilisation de l’État local pour porter les enjeux de lutte contre l’artificialisation des sols, appliquer les dernières mesures législatives prises en la matière et mobiliser les acteurs locaux».
La convention citoyenne pour le climat a adopté plusieurs propositions (1) afin d’atteindre cet objectif. Sans attendre leur traduction législative et réglementaire, une action déterminée peut être immédiatement menée, plus spécifiquement sur l’aménagement commercial.
La lutte contre l’artificialisation des sols est en effet un des objectifs assignés à l’aménagement commercial : les projets, pour être autorisés, ne doivent pas compromettre cet impératif (I). Il vous est donc demandé de faire usage des pouvoirs dont vous disposez en la matière pour lutter contre l’artificialisation des sols générée par les équipements commerciaux soumis à autorisation d’exploitation commerciale (II).
I. Aménagement commercial et artificialisation des sols : état des lieux
1.1 Les surfaces commerciales et économiques représentent 14 % des surfaces artificialisées, c’est-à-dire ni agricoles, ni naturelles, ni forestières, selon la définition conventionnelle retenue par France Stratégie dans son rapport de juillet 2019 (2). L’artificialisation s’entend de la «transformation d’un sol à caractère naturel ou agricole par des actions d’aménagement». Pour l’application de cette circulaire, est entendu comme artificialisé un sol dont l’occupation ou l’usage affectent durablement tout ou partie de ses fonctions hydrologiques, biologiques ou agricoles. Les surfaces de pleine terre ne sont pas considérées comme artificialisées (3).
1.2 Depuis la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, «les implantations, extensions, transferts d’activités existantes et changement de secteur d’activité d’entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’urbanisme (. . .), dans le cadre d’une concurrence loyale» (4).
A cette fin, s’agissant en particulier des objectifs d’aménagement du territoire et de développement durable, les critères d’appréciation des effets des projets ont évolué pour insister sur la localisation et l’intégration urbaine des équipements commerciaux, sur leur qualité environnementale et sur la nécessité d’une limitation des nuisances de toute nature sur l’environnement proche et d’une consommation économe de l’espace.
L’incitation à la reprise d’une friche existante, introduite à l’article L. 752-6 du Code de commerce par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi «Elan») tend vers le«zéro artificialisation nette» (ZAN) tout en concourant à la revitalisation du tissu économique et commercial existant. (5)
C’est en prenant en compte ces critères que les commissions d’aménagement commercial, le cas échéant sous le contrôle des juges, apprécient les effets des projets et refusent l’autorisation d’exploitation commerciale (Aec) aux équipements qui pourraient compromettre les objectifs d’intérêt général rappelés supra, au premier rang desquels la lutte contre l’artificialisation des sols.
1.3 Sans porter d’atteinte disproportionnée au principe de libre établissement, il y a lieu d’exercer une vigilance toute particulière sur le respect du principe de consommation économe de l’espace dans l’examen des projets d’équipements commerciaux soumis à autorisation d’exploitation commerciale (Aec) (6).
C’est le seul moyen propre à garantir, en l’état, la réalisation de l’objectif poursuivi.
L’étude des dossiers ayant fait l’objet d’un recours en Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac) démontre que si, dans l’ensemble, les commissions départementales d’aménagement commercial (Cdac) ont intégré les principaux enjeux et critères, une amélioration est possible et souhaitable.
Il apparaît également que beaucoup de projets générateurs d’une consommation très importante de foncier, ne font l’objet d’aucun recours en Commission nationale. Or la faculté d’auto-saisine de la Cnac a pour seule référence la surface de vente de l’équipement commercial à réaliser, laquelle n’est pas toujours corrélée à la consommation de foncier lorsqu’elle s’accompagne d’une densification du bâti et/ou d’une mutualisation des espaces.
II. Rôle et pouvoirs du préfet président de la Cdac
Comme rappelé dans l’instruction du 3 mai 2017 sur la législation en matière d’aménagement commercial (7), vous jouissez d’une double compétence en matière d’aménagement commercial : en qualité de représentant de l’État dans le département, vous exercez un contrôle de légalité, notamment sur les documents d’urbanisme, et disposez, dans le cadre des opérations de revitalisation des territoires (Ort), d’une faculté de suspension de la procédure devant la Cdac dans les conditions définies à l’article L. 752-1-2 du Code de commerce (8) ; en qualité de président de la Cdac, vous disposez d’un pouvoir d’intervention, avant la décision ou l’avis, pour rappeler les enjeux, objectifs légaux et critères d’appréciation (2.1), et, une fois l’avis ou la décision rendu, pour exercer un recours, administratif ou contentieux (2.2).
C’est en cette seconde qualité, que vous est adressée la présente circulaire.
2.1 Du dépôt de la demande d’Aec à la réunion de la Cdac
2.1.1 Le rapport du service instructeur local, transmis aux membres de la Cdac avant la réunion, doit systématiquement quantifier et apprécier expressément l’impact de chaque projet en termes d’artificialisation (9), et recenser les mesures permettant d’éviter cette artificialisation (installation sur un terrain déjà artificialisé en particulier une friche, ou mobilisation de locaux vacants dans la zone de chalandise), de la réduire (optimisation des surfaces d’emprise au sol) et le cas échéant de la compenser dans le cadre du projet.
La Cdac doit en effet connaître, pour chaque projet qu’elle examine, la superficie exacte du terrain d’assiette – c’est d’ailleurs la première information requise par le tableau récapitulatif des caractéristiques du projet joint à toute autorisation accordée depuis le 1er janvier 2020 (10) – et sa nature actuelle. Une différence doit être clairement faite, et mentionnée au rapport d’instruction, entre l’artificialisation nette et l’artificialisation brute éventuellement générées par le projet, ce qui permet d’identifier l’absence de toute nouvelle artificialisation.
L’ensemble de ces éléments est indispensable pour permettre à la Cdac d’apprécier objectivement les critères liés à l’aménagement du territoire et au développement durable, notamment ceux relatifs à la gestion économe de l’espace et à l’imperméabilisation des sols.
2.1.2 Indépendamment de la présence en Cdac, depuis le 1er octobre 2019, d’une personnalité qualifiée désignée par la chambre d’agriculture, la loi Elan a introduit la faculté pour le préfet de solliciter de la chambre d’agriculture une «étude spécifique de consommation des terres agricoles» (11), fournissant «s’il y a lieu, un état des superficies affectées aux exploitations agricoles dans la zone [de chalandise de chaque projet], ainsi que des éléments sur leur évolution au cours des trois dernières années» (12). Il appartient ensuite au préfet d’en rapporter le contenu en séance, afin de compléter opportunément l’information de la commission.
Nous vous demandons de vous appuyer systématiquement sur l’analyse de la consommation des terres agricoles et d’user de cette faculté de saisine dans ce but.
2.1.3 En séance, en même temps que vous rappelez les règles de déontologie et de conflits d’intérêts, vous devez insister auprès des membres de la commission sur les enjeux de la lutte contre l’artificialisation des sols et rappeler les critères liés à une gestion économe de l’espace figurant dans la loi, ainsi que le préambule de la Charte de l’environnement.
2.2 Postérieurement à la décision ou l’avis de la Cdac
2.2.1 L’instruction précitée du 3 mai 2017 sur la législation en matière d’aménagement commercial vous incitait à user de votre droit de saisir la Commission nationale d’aménagement commercial, voire le juge administratif, chaque fois que vous le jugiez nécessaire.
Pourtant, le nombre de recours en Cnac formés par des préfets demeure très faible – de l’ordre de deux ou trois par an. Aucun recours contentieux d’un préfet n’est recensé contre une décision de la Cnac, ou contre un arrêté de permis de construire valant Aec (Pc/ Aec) en raison de l’avis favorable de la Cnac, alors même que, depuis 2014, pour les projets nécessitant un Pc/Aec, le représentant de l’État dans le département n’est pas soumis au recours administratif préalable obligatoire (13). En d’autres termes, même s’il n’a pas saisi lui-même la Cnac, contre la décision ou l’avis de la Cdac, le préfet peut agir au contentieux contre la décision ou l’avis de la Cnac.
La loi Elan est ainsi venue renforcer les prérogatives du représentant de l’État dans le département à tous les échelons de la procédure d’Aec : avant et pendant l’instruction de la demande d’Aec, puis avant l’ouverture et pendant l’exploitation de l’équipement commercial autorisé.
Votre rôle vis-à-vis de la Cnac n’en est que plus important : vous êtes les garants de l’application des politiques publiques et du respect des objectifs ainsi définis sur l’ensemble du territoire national.
2.2.2 A ce titre, il vous est demandé de saisir la Commission nationale d’aménagement commercial chaque fois que la création d’un nouvel équipement commercial ou une extension est autorisée en Cdac alors que le projet ne vous semble pas respecter, l’objectif de «zéro artificialisation», faute notamment d’une consommation économe de l’espace ou en raison de l’imperméabilisation des sols qu’il génère.
Les services de la Direction générale des entreprises (Dge) et ceux de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (Dgaln) se tiennent à votre disposition, au titre de leurs attributions respectives, pour vous apporter tout élément d’information complémentaire dont vous auriez besoin.
Vous voudrez bien les informer régulièrement des mesures que vous avez prises, et notamment des recours que vous avez exercés, des dossiers nécessitant selon vous une attention particulière lors de l’instruction réalisée par le secrétariat de la Cnac et leur signaler les difficultés que vous pourriez rencontrer. Vous leur transmettrez également un bilan statistique trimestriel.
Jean Castex
Notes :
1. 13 propositions ont ainsi été adoptées en ce sens à l’unanimité par la Convention (SL 3.1 à SL 3.13) afin de préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers périurbains, en privilégiant la réhabilitation des bâtiments existants et l’utilisation des terrains déjà urbanisés.
2. Sont«artificialisés les sols qui ne sont pas des espaces naturels, agricoles ou forestiers (Enaf)».
3. Pour rappel, la circonstance qu’un terrain soit considéré comme constructible au sens du C. de l’urbanisme (donc en zone U ou AU) n’exonère aucunement d’une analyse sur le caractère artificialisant ou non du projet.
4. Article L. 750-1 du C. de commerce.
5. Voir également, au même article, les références à la consommation économe de l’espace et à l’imperméabilisation des sols.
6. Article L. 752-1 du C. de commerce.
7. Instruction n° ECFI1713905C du ministre de l’Économie et des finances et de la secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.
8. Voir sur ce point, pour une présentation de ce dispositif, la circulaire ECOII 929035C du 31 octobre 2019.
9. Conformément à l’article R. 752-6 du C. de commerce, le dossier du pétitionnaire doit contenir notamment «une présentation de la prise en compte de l’objectif de compacité des bâtiments et aires de stationnement» (3°, a) ainsi qu’ «une description des mesures propres à limiter l’imperméabilisation des sols» (4° d).
10. Arrêté du 1er octobre 2010 fixant le contenu de ce tableau (Jorf du 23/I0/2019- NOR n° ECOI1927869A).
11. Cf. le V de l’article L. 751-2 du C. de commerce.
12. Cf. le II de l’article R. 752-13 du C. de commerce.
13. Cf. le I de l’article L. 752-17 du C. de commerce.
