Une décision inédite a été rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 3 mai[1] : le mécanisme exceptionnel de plafonnement à 3,5 % de la variation annuelle de l’Indice des loyers commerciaux (Ilc) applicable entre le deuxième trimestre 2022 et le premier trimestre 2024 pour cause de Covid a été mis en œuvre pour la révision triennale légale[2]. A la connaissance de l’auteur, aucune autre décision n’a encore été rendue sur cet aspect. Elle éclaire le jugement favorable au franchisé Orange de l’avenue du Général-Leclerc, à Paris, d’une lumière particulière. Et clarifie, au passage, la rédaction nébuleuse de l’article 14 du dispositif. On ne parle bien ici que de révision triennale. Pas encore de révision en renouvellement. Faut pas pousser !
Par Me Théo Charpentier, avocat à la Cour
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 août 2022, un mécanisme pour la variation des indices a été institué en faveur des petites et moyennes entreprises[3] plafonnant à 3,5 % la variation annuelle de l’Indice des loyers de commerce (Ilc) du deuxième trimestre 2022 au premier trimestre 2023. Prolongé jusqu’au premier trimestre 2024, le plafonnement semblait n’être applicable qu’aux seules clauses d’indexation annuelle. La rédaction évasive de l’article 14, mentionnant la «révision» du loyer, rendit en effet incertain le champ d’application du plafonnement, bien que le Gouvernement considère que le mécanisme s’applique également aux révisions triennales et aux renouvellements intervenus pendant la période protégée. Si les avis de l’exécutif ne lient pas le juge, le juge des loyers commerciaux de Paris semble pourtant lui avoir donné partiellement raison.
Le 3 mai 2024, il était saisi pour fixer le loyer révisé d’un bail liant un preneur autorisé à exercer une activité de «commerce de détail et de demi gros de bijouterie et accessoires joaillerie, accessoires de modes et cadeaux» et un bailleur à compter du 20 avril 2022. Le preneur ayant prétendu bénéficier du mécanisme du plafonnement susmentionné, le juge n’était saisi que de la détermination du montant de la variation de l’lc entre le 16 novembre 2018 (date de la dernière fixation du loyer) et le 20 avril 2022 (date de la demande de révision légale du loyer du bailleur), conformément à l’article L. 145-38 du Code de commerce. Le point à trancher était celui de l’application ou non du mécanisme de plafonnement de l’article 14 à la révision triennale, et le cas échéant, de ses modalités.
La réponse ne coule pas de source. Si l’application du plafonnement aux clauses d’indexation annuelle découlait de la simple lecture de l’article, ce n’est en revanche pas le cas des clauses d’indexation triennale et de la révision triennale légale. En l’occurrence, le juge parisien, après avoir examiné les conditions de la révision triennale légale, tranche en faveur de l’application du plafonnement en s’appuyant sur les travaux parlementaires[4] rendus à l’occasion de la prolongation du mécanisme : «Le texte ne fait aucune distinction entre les différents mécanismes de révision du loyer susceptibles d’être appliqués ni entre les périodicités de révision concernées. […] Si le texte fait référence à la variation annuelle de l’indice, il s’avère néanmoins possible d’appliquer la variation de l’indice par année et de la limiter à 3,5 % sur la ou les périodes retenues par la loi. Par conséquent, le dispositif de limitation de la variation de l’indice des loyers commerciaux à 3,5 % est applicable à la révision triennale du loyer»
Le juge des loyers commerciaux choisit de faire droit à une approche extensive du mécanisme, telle que suggérée par le Gouvernement[5]. Elle semble correspondre à l’esprit du rapport du 30 mai 2023 de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Partant, il applique ratio legis le plafonnement de l’Ilc sur la période qu’il considère protégée.
Outre l’appréciation extensive du champ d’application, la méthode de calcul consistant à «limiter la variation de l’indice par année» doit être approuvée. L’article 14 dispose qu’il s’agit d’appliquer un multiplicateur de 3,5 % à la «variation annuelle de l’Indice des loyers commerciaux (…) pour les trimestres compris entre le deuxième trimestre 2022 et le premier trimestre 2024». Ainsi, le juge doit-il retenir une variation maximale de 3,5 % sur l’ensemble des trimestres protégés ou calculer, l’une après l’autre, les variations annuelles protégées, quitte à écarter certaines périodes au sein de la période protégée et qui n’ont pas encore fait l’objet d’une variation annuelle de l’Ilc ?
En effet, stricto sensu, une difficulté émerge : la révision légale du loyer n’est pas mesurée sur une période en années, mais en trimestres. Ainsi, le loyer est en l’espèce révisé sur une période de treize trimestres. Le juge des loyers commerciaux choisit alors d’appliquer le plafonnement de 3,5 % sur une seule période annuelle. Une solution inverse risquerait en effet d’être contra legem. Le reste de la période, non protégée, est calculé selon la seule variation non plafonnée de l’Ilc.
Si le mode de calcul continuera d’interroger, l’extension du champ d’application de l’article 14 à la révision légale triennale sera accueilli favorablement par les preneurs. Bien que la portée du jugement doive être nuancée puisqu’il ne s’agit que d’une décision de première instance, cet éclaircissement est bienvenu, sans préjudicier de l’interprétation qui pourrait être retenue par les autres juridictions de fond.
En suivant l’approche retenue par le juge, il est très probable qu’une solution soit identique à l’égard d’une clause d’indexation triennale, en prenant soin de délimiter la période protégée et de calculer, année après année, le plafonnement de la variation de l’Indice. Toutefois, il semble peu probable que la «révision» telle qu’elle est entendue dans l’article 14 ait vocation à s’appliquer pour le renouvellement, contrairement à ce que soutient le Gouvernement.
[1] TJ Paris, Loyers commerciaux, 3 mai 2024, RG n°23/08588
[2] Cf. articles L. 145-37 et L. 145-38 du Code de commerce
[3] Au sens de l’annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché intérieur : il s’agit des entreprises employant moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros
[4] La décision fait référence expresse au rapport du 30 mai 2023 de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, consultable librement sur le site internet de l’Assemblée nationale
[5] Cf. not. La publication type Foire aux questions intitulée « Plafonnement de l’Indice des Loyers Commerciaux (ILC) pour les PME – prolongation » datée de septembre 2023