Le travail de nuit peut-il être imposé en centre commercial ? C’est la question à laquelle répond par la négative Me Jehan-Denis Barbier au regard de l’arrêt rendu le 29 mai par la Cour de cassation (1). Nonobstant le règlement du centre commercial, le Zara d’Atlantis avait le droit de fermer à 20h30 pour pouvoir libérer ses collaborateurs à 21h00, où commence le travail de nuit – qui, pour être autorisé, doit être essentiel à la poursuite de l’activité économique. Ce qui n’est pas le cas pour Zara, ni d’ailleurs Sephora, Carrefour City ou Monop’, rappelle l’auteur de l’article. Alerte chez les bailleurs…
Par Me Jehan-Denis Barbier, docteur en droit, avocat à la Cour (Barbier Associés)
La chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt condamnant les clauses imposées dans les centres commerciaux relatives aux horaires d’ouverture nocturne. En l’espèce, le centre commercial La galerie d’Atlantis, à Saint-Herblain, imposait aux commerçants de rester ouverts jusqu’à 21h, ce qui impliquait que les salariés soient obligés de travailler au moins jusqu’à 21h30 pour accomplir les tâches ultimes d’arrêté de caisses et ranger le magasin.
L’enseigne Zara, locataire du centre, avait décidé de fermer à 20 h 30 pour permettre le départ des salariés au plus tard à 21 h. Le Gie engage une procédure contre Zara, voulant notamment lui appliquer une pénalité de quelque 71 851 € pour non-respect des horaires.
Mais la cour d’appel de Rennes, qu’approuve ensuite la Cour de cassation, donne raison à Zara : aucune dérogation à la réglementation du droit du travail nocturne n’est possible. Les clauses contraires sont inopérantes. L’article L. 3122–32 ancien du Code du travail, comme l’article L. 3122–1 nouveau (résultant de la réforme du 8 août 2016) disposent que le recours au travail de nuit est exceptionnel. Les articles L. 3122–29 ancien et L. 3122–20 nouveau du Code du travail précisent que le travail de nuit s’entend de celui exécuté entre 21h00 et 6h00.
Pour déroger à cette interdiction, il faut une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou une autorisation de l’inspecteur du travail ; mais cela n’est possible que si la dérogation est justifiée par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique, ou par la nécessité d’assurer des services d’utilité sociale. Or, un commerce de prêt-à-porter comme Zara ne nécessite pas une ouverture nocturne pour assurer la continuité de l’activité économique et ne présente non plus aucun caractère d’utilité sociale.
Dès lors, aucune dérogation ne peut être envisagée et les stipulations contraires du bail du centre commercial ou les décisions contraires du gie sont inopérantes, car contraires à l’ordre public. Les conditions légales n’étant pas remplies, la Cour de cassation juge «qu’une période de travail de nuit différente de la période légale ne pouvait ni être fixée par un accord collectif organisant le recours au travail de nuit ni être autorisée par l’inspecteur du travail», l’impossibilité de toute dérogation l’emportant sur toute stipulation contraire.
La même chose avait été jugée à propos du Sephora des Champs-Elysées. L’attractivité commerciale liée à l’ouverture nocturne de ce magasin ne permet pas de caractériser la nécessité d’assurer la continuité de l’activité (Cass. soc. 24 sept. 2014, n° 13-24.851, Bull. V, n° 205). Il en va de même pour les commerces de détail alimentaire du type Carrefour City ou Monop’, l’ouverture nocturne n’étant pas nécessaire pour assurer la continuité de l’activité économique de tels commerces (Cass. crim. 2 sept. 2014, n° 13-83.304 ; Cass. crim. 4 sept. 2018, n° 17-83.674, Cass. crim. 7 janv. 2020, n° 18-83.074).
Dans ces conditions, les clauses imposées par les propriétaires de centres commerciaux sont inopérantes et aucune pénalité ne peut être appliquée au locataire.
Notes
1. Cass. com. 29 mai 2024, n° 22-17.107, F-B (rejet CA Rennes, 15 mars 2022).