Mensualisation : quand la loi est partie, LES PARTIES FONT LA LOI

Gilles Hittinger-Roux

La France sous le choc de la dissolution a pu croire perdre aussi le protocole d’accord sur la mensualisation des loyers et ses contreparties de procédures de recouvrement et de remise des clefs ; un serpent monétaire pour l’Ilc en prime. Plus de députés, plus de lois… Mais plus de loi ne veut pas dire plus d’accord, estime Me Hittinger-Roux, qui rappelle un célèbre précédent : la mise en place de l’Ilc… que la loi s’était empressée de graver dans le marbre moins d’un an plus tard.

Par Me Gilles Hittinger-Roux (HB&Associés)

Le 30 mai 2024, les fédérations de l’immobilier et du commerce se sont engagées sur deux volets, l’un portant sur la mensualisation, l’autre sur des procédures de recouvrement. Une disposition complémentaire a été prévue sur la mise en œuvre du tunnel d’indexation qui, à ce jour, n’est pas validée par les juridictions (cf. arrêt du 7 décembre 2023, cour d’appel de Paris). L’engagement de tous doit-il attendre l’engagement des parlementaires, c’est-à-dire la loi ?

1. Sur la mensualisation

Une chose est certaine : ce dispositif ne nécessite pas un quelconque texte de la part du Parlement. Les modalités de paiement sont libres. Et le pouvoir autonome de la volonté des parties peut être plus fort que la loi. Il faut rappeler que, le 20 décembre 2007, l’Indice des loyers de commerce (Ilc) était créé par la signature d’un protocole, là encore entre les fédérations de l’immobilier et celles du commerce.

Certains juristes s’étaient du reste élevés contre le caractère «manifestement illicite» de ce dispositif. Ils évoquaient même le risque de l’annulation de la clause visant l’Ilc ; voire l’annulation du bail avec toutes les responsabilités qui devaient s’attacher à leurs auteurs.

La volonté des parties a débouché sur la création d’un Comité paritaire de suivi. Il s’agissait de s’assurer que le protocole s’applique de la manière la plus large possible et que soit évalué l’impact de ce nouvel indice (communiqué du Conseil national des centres commerciaux – Cncc – du 22 février 2008).

La méthode a fini par devenir une loi ! Confronté à cette pratique, le Gouvernement l’a en effet retenue dès le 4 novembre 2008, par un décret instituant l’Ilc.

Nous avons donc un précédent. Entre la signature de l’accord bailleurs-locataires le 20 décembre 2007 et l’introduction de celui-ci dans la législation le 4 novembre 2008, il se sera écoulé à peine onze mois. Une toute petite année débouchant sur une pratique immédiate respectant la volonté des parties.

Nous y sommes ! Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le protocole est déjà signé : on peut passer au Comité de suivi ! Quant aux fâcheux, attachés à un légalisme pur et dur, il sera tout aussi facile de les oublier, comme ceux qui s’étaient autorisés à évoquer la responsabilité de la mise en place de l’Ilc avant le décret…

2. Sur les procédures de recouvrement

a) D’une part, les rédacteurs du protocole ont souhaité réduire l’appréciation du juge quant à l’octroi de délais. Ceux qui pratiquent les référés savent très bien que pour les obtenir, il faut au préalable produire les éléments comptables du locataire (bilan, compte d’exploitation, balance, fournisseurs, clients…) et, pour montrer la bonne foi, un règlement partiel de la dette. Ces délais sont évidemment conditionnés au paiement du loyer courant. A défaut du règlement de la créance et du loyer en cours, il y a nécessairement déchéance du terme et expulsion. Il faut considérer, en conséquence, que le pouvoir d’appréciation du juge est ainsi réduit. Il s’agit donc de donner une voie légale à cette pratique et surtout de reprendre les dispositions en matière de baux d’habitation.

b) D’autre part, concernant le projet d’écourter le délai de restitution des clés au bailleur par le liquidateur dans deux mois, en cas de liquidation judiciaire, tout ceci permet de pallier l’encombrement des tribunaux et d’éviter la fermeture de boutiques qui nuit considérablement à la commercialité des sites. Les accords du 30 mai 2024 relèvent donc du bon sens au regard des procédures de recouvrement et la loi ne fera qu’appliquer ces premiers usages.

3. Sur le tunnel de l’Indice

Dans la mesure où l’article L.112.1 du Code monétaire et financier relève de l’ordre public, cette loi parait indispensable. Cependant, si cette mise en place peut heurter les légalistes, tout le monde sait parfaitement qu’elle se pratique au quotidien. Il suffit d’une side-letter dans le tunnel pour protéger le bailleur en cas de demande d’annulation et de rétablissement de l’indexation.

4. Conclusion

En conclusion, si le Parlement peut attendre, la filière ne le peut pas. L’immobilier de commerce et ses fédérations doivent poursuivre la mise en œuvre de leurs engagements. La signature des accords par les fédérations démontre la capacité et la volonté des unes et des autres à s’entendre sur des décisions de bon sens. Il faut saluer cet engagement entre adultes responsables. Le vote de la loi n’est en aucun cas un prérequis.


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TRIBUNE LIBRE / DROIT AU BAIL


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