UN PREMIER SEMESTRE SOUS CONDITIONS SUSPENSIVES

Alain Boutigny

La Chronique de l’immobilier de commerce

Dans un semestre chahuté qui a vu la Cnac refuser une… diminution du projet de Valbonne, modifier une notion de surface de vente pesant sur la Tascom et les autorisations d’exploitation commerciale, inventer un «dévendeur» (qui conseille de ne pas acheter), mettre au panier un projet de réforme consensuelle du bail et les ventes plonger comme jamais, le commerce a compté les points. Si quelques transactions font encore chaud au cœur, il continue cependant à gagner en désamour et à perdre des siens : The Body Shop, Ollygan, Chaussexpo, San Marina… liquidées, Gautier, Sergent Major, Esprit, Dpam et Christine Laure en redressement, la Grande Récré, Jennyfer, Naf Naf rachetées… Il grand temps que ça s’arrête !

Par Alain Boutigny, directeur de «L’Argus de l’Enseigne»

Comme le promettait notre cher ex-président Hollande : le changement, c’est maintenant ! Il avait de l’avance… Nous y voilà ; et jusqu’à la ceinture, comme le chantait Graeme Allwight. C’était en 68, mais c’était-là une révolution heureuse, avec beaucoup d’argent et d’avenir. Les caisses sont vides, l’horizon est troublé. Il faut trouver autre chose ; on ne peut pas en rester là. Le monde craque de toutes parts, la société se cherche ; le commerce s’adapte.

Jugulé et pétrifié, l’immobilier de commerce ne bouge plus une oreille. Lui aussi connaît un avenir incertain. Quelques beaux projets continuent sur la lancée d’un évident besoin d’aménagement du territoire. Les noms de Canopée (Bordeaux), Valbonne (Sophia-Antipolis), Gare d’Austerlitz et Central Park (Paris), des Portes des Pyrénées (Muret), du démonstrateur de Montigny-les-Cormeilles (Herblay), modèle de rénovation des zones commerciales, et de Neyrpic (Grenoble), à ouvrir dans quelques jours, résonnent comme un appel à la nouveauté. Rien n’y fait, la tendance est à se contenter de l’existant ou de rafistolages pour produire quelque fraîcheur.

On peut du reste penser qu’à l’image de l’atmosphère ambiante, tout va de travers. On a vu, en juin, la Cnac refuser la… diminution de la surface du projet de Valbonne (sic !), la Cour de cassation faire droit au Zara d’Atlantis fermant à 20:30 au lieu de 21:00 pour respecter le travail de nuit et non pas ses obligations contractuelles, la même juridiction se disant dans la foulée que, finalement, le loyer binaire peut bien faire partie du statut des baux commerciaux, contrairement au vieil arrêt Saint-Georges de 93. On relèvera encore une circulaire ubuesque du 15 novembre venant modifier la notion de surface de vente… Ben voyons !

C’était histoire de mettre du beurre dans les épinards du fisc, certes. Mais l’affaire prend une autre allure, puisqu’en plus d’alourdir la Tascom (taxe sur les grandes surfaces), elle impacte les autorisations d’exploitation commerciale. Ça craint et ça va craindre, car en augmentant l’aire d’exploitation des sas et autres sanitaires, circulations et arrière-caisses, le texte met en grand danger les Aec, notamment celles de 999 m2 ou 2 500 m2 ; comme le moindre mètre carré d’extension des voisins avec qui le demandeur fait «ensemble commercial». Voire comment, à Plan-de-Campagne Grand Frais s’est fait épingler et sème la panique !

Cela peut sembler secondaire. Ça devient pourtant une habitude de jouer avec les nerfs des enseignes. Car cette petite circulaire est considérée comme rétroactive par l’administration (sic !). On est loin de l’anecdote. Ces politiques à idées bondissantes et qui s’en vont avant de les avoir rattrapées, ont encore une fois trahi. Ils ont retiré au printemps la réforme collégiale du droit au bail inscrite au programme du Conseil national du commerce (Cnc) de Mme Grégoire — plus la promesse annexée de mensualisation des loyers et de serpent monétaire de leur indexation. Cet arrangement entre amis, ils l’ont fait riper en douce dans une loi de Simplification passée en avril au Conseil des ministres — démissionnaire, sans doute ; mais qu’importe.

Car, à la différence du bon vouloir d’un ministre ou d’un autre, ce travail, superflu par les temps qui courent, a toutes les chances de passer au Parlement comme une lettre à La Poste et de se retrouver sur la table de travail des docteurs de la loi. Ils auront à cœur de le «simplifier», et sans le moindre mandat du peuple, autrement dit de le vider de sa propriété commerciale. L’exemption française aura vécu. Sauf si la résilience de ce fichu droit au bail, qui en un siècle en a vu d’autres, montre encore de quoi elle est capable. Mais c’est une autre histoire. Avant, il y a la Dette qui enfle, la sécurité qui se dégrade, la stabilité politique qui déraille, la valeur travail qui fout le camp et les conflits qui sont aux portes.

Il y a surtout l’instabilité politique à laquelle il va falloir se faire. On a ici des relents de IVe République. Reste que, l’Histoire bégayant plutôt que se répétant, personne ne peut dire si le parcours se terminera par un 1939, un 1958 ou un 1968 à la sauce écolo-collectiviste. En attendant, la vente continue… Enfin, tente de continuer ; même si le retour de l’inflation sous les 2 % figure au rang des bonnes nouvelles préparant un retour au calme, toujours propice aux affaires. Le pire n’est pas le plus certain, sous-titrait Paul Claudel au «Soulier de Satin». Acceptant-on l’augure.

Reste que des vents contraires soufflent sur le commerce. La tendance à la baisse des prix va déclencher, c’est sûr, une guerre des étiquettes au moment où les approvisionnements coûtent plus cher et où la reprise des Casino par Leclerc et Intermarché va mettre le feu à beaucoup de zones de chalandise, tandis que la casse chez les enseignes (Esprit, The Body Shop, Gautier, Dpam, Christine Laure) va encore peser sur la vacance du centre-ville et des centres commerciaux. La tendance à la baisse des ventes, que la Banque de France chiffre en valeur pour le premier semestre à – 5,3 % pour les grands magasins, – 3 % pour les supermarchés et – 5,3 % pour les hypermarchés, n’est pas de bon augure non plus. L’Internet lui-même, qui a cédé 1,5 % l’an dernier, a encore reculé de 1,8 % au premier trimestre, selon la Fevad… 

C’est peu dire que les nuages s’amoncellent. Plus que pour le reste de l’économie ? Pas forcément. On en vient à une consommation d’usage, dont on imagine, malgré le lavage de cerveau du «dévendeur» qu’il faut garder bien en tête, qu’elle va finir par trouver son équilibre et s’accommoder de toutes ces turbulences. La déconsommation dont on voit les effets dans le démarrage mitigé de l’Atacadão d’Aulnay-sous-Bois, la haine qui a remplacé l’indifférence des pouvoirs publics pour le commerce, capables d’inventer une loi «fast fashion» restée par bonheur au stade de la proposition (mais qui ressurgira à la première occasion), l’attaque du ministère de l’Economie en personne sur la franchise participative de Carrefour, sont autant de conditions suspensives pour l’avenir. C’est la fin de l’insouciance, pronostiquait notre Président il y a un an… Il ne croyait pas si bien dire ! On voit encore, de belles transactions d’immobilier de commerce, comme le JD des Champs à 6 millions de loyer pur avec un «accompagnement» de 5 millions, ou le Breitling de la rue de La Liberté, à Nice, à 450 000 € de droit d’entrée et 84 000 de loyer. Ça donne du baume au cœur et des perspectives au commerce. Mais les renouvellements qui sont désormais des quasi prises à bail et l’embauche de spécialistes pour les mener à bien, en disent long sur les relations bailleurs-locataires, qui ne seront plus de simples rendez-vous tous les trois, neuf ou douze ans, mais des rapports quotidiens sous haute tension.


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