L’intuitu firmae n’est pas l’intuitu personae à l’envers. Mais tout de même un peu. L’arrêt rendu le 15 mai par la Cour de cassation donne une définition claire de l’intuitu en matière de franchise : d’un côté le personae où la personne est le franchisé en chair et en os : de l’autre le firmae, où la personne est morale et constituée de parts sociales. Leur cession emporte la vente et l’achat de l’enseigne : «l’individu» qu’avait choisi le franchisé. Voici cadré l’équilibre du contrat. Les réseaux sont rassurés. Ils peuvent vendre ou acheter sans s’en remettre au bon vouloir des franchisés – le plus souvent de quelques tracasseurs professionnels !
Par Me Rémi de Balmann, avocat au Barreau de Paris (D, M & D), membre du Collège des experts de la Fédération française de la franchise
Sacrée victoire pour les franchiseurs et la franchise ! Après l’arrêt (attendu et espéré) de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 février 2024 venant lever l’incertitude née de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 janvier 2022 sur la validité des clauses de non-réciprocité de l’intuitu personae dans les contrats de franchise, la chambre commerciale fait coup double à quelques mois d’intervalles. Et cette fois-ci sur un pourvoi dirigé à l’encontre de deux arrêts de la même 4e chambre du pôle 5 de la cour d’appel de Paris des 6 novembre 2019 et 29 juin 2022.
A nouveau un arrêt de rejet, mais ô combien important et lourd de sens (Cass.com, 15 mai 2024, pourvoi n° 22-20.747 ; publié au Bulletin).
On se souvient que, par deux arrêts du 3 juin 2008, la Cour avait jugé que le contrat de franchise était conclu par le franchisé «en considération de la personne du franchiseur» (Cass. com, 3 juin 2008, pourvois n° 06-13.761 et 06-18.007). Certes et de la même façon que, pour le franchiseur, le contrat est conclu en considération de la personne du franchisé.
S’agissait-il pour autant du même intuitu personae ? les franchisés seraient-ils fondés à prétendre que : «De même que la personne du franchisé détermine le consentement du franchiseur et justifie les clauses par lesquelles celui-ci se réserve un droit de regard en cas de cession des parts constituant le capital social de son partenaire, de même la personne du franchiseur détermine le consentement du franchisé» ? Et de prôner l’idée que : «la cession de titres qui conduit à un changement de contrôle de la société franchiseur exige, à peine de nullité, l’autorisation de la majorité des franchisés composant le réseau de franchise» (N. Dissaux et Ch. Bellet, Le Guide de la Franchise, éd. Dalloz 2023-2024, p. 104 et 452).
La Cour de cassation vient de tordre le cou à cette idée funeste de soumettre la cession du capital social de la société franchiseur à l’accord préalable des franchisés ! Elle a en effet jugé que : «si le contrat de franchise est conclu en considération de la personne du franchiseur, pour autant, la cession de la totalité des parts ou actions de la société franchiseur et l’évolution de ses dirigeants, qui n’impliquent pas de changement de la personne morale en considération de laquelle le franchisé s’est engagé et n’emportent aucune cession du contrat de franchise, ne requièrent pas, sauf clause contraire, l’accord préalable des franchisés».
Plus que jamais, la Cour appuie sa décision sur l’idée que, du côté des enseignes, l’intuitu personae ne pèse que sur la personne morale franchiseur et non pas sur la tête de son dirigeant, personne physique. Intuitu personae du côté du franchisé et intuitu firme du côté du franchiseur (R. de Balmann, «La transmission du réseau de franchise : non aux dogmes, oui au pragmatisme !», La Semaine Juridique, Entreprises et affaires, avril 2023, p. 34 et s.).
Il serait inimaginable qu’un franchisé (au sens de dirigeant de l’entreprise franchisée) puisse céder à qui bon lui semble le capital social de sa société. L’inverse n’est pas vrai et le bon sens juridique rejoint ici le bon sens économique. Imagine-t-on un franchiseur désireux de céder le réseau faire la tournée des points de vente pour recueillir l’accord des franchisés ? Ce serait donner aux franchisés, dont l’accord serait une condition préalable et nécessaire à l’opération, l’occasion de multiples surenchères et marchandages. Sans parler de la nécessaire confidentialité des pourparlers avant le closing final !
> Lire l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 mai 2024